Don Moufflar, jeune dogue issu de bonne race,
Était brave jusqu’à l’audace ;
Il faisait bonne garde, écartait du logis
Les gens suspects et mal appris.
Moufflar, utile en son espèce,
Pouvait, s’il eût voulu, se faire aimer des gens ;
Mais il manquait de politesse,
Traitait le monde avec rudesse,
Pour oui, pour non montrait les dents :
De son muffle enfumé quand le nerf se retire,
Dam, il n’y fait pas bon ; mal venu qui veut rire.
De Moufflar, commensal un petit sapajou
S’était, par ses talens, fait surnommer Bijou.
Bijou, c’en était un et pour la gentillesse,
Et l’agrément de la souplesse :
On avait fort soigné son éducation.
Bien pris dans sa courte stature,
Bijou, gentille créature,
Se roulait comme un peloton,
Et bondissait comme un ballon ;
C’était vraiment, en miniature,
Un abrégé de grâce et de perfection.
Quant aux vertus du sire,
Qui voudrait les décrire
Serait bien mal tombé :
” Voleur comme une chouette,
Et poltron comme un abbé ” ;
Ceci n’en donne encor qu’une idée imparfaite.
Avec tous ces défauts, de la société
Il fit les plus chères délices ;
Fêté de tous, choyé, gâté,
Ses agrémens couvraient ses vices :
Son brave commensal, retiré dans son trou,
De tous abandonné, vivait en vrai hibou.
J’ai déploré cent lois l’abus trop ordinaire
Qui fait qu’un vain mérite et s’avance et prospère,
Quand l’honneur et la foi ne sont comptés pour rien :
Ce tort, je ne veux point m’en taire,
Est quelquefois celui des gens de bien.
Humains, faibles humains ! combien l’on est coupable
D’ôter à la vertu le pouvoir de charmer !
Ce que le ciel au monde a fait de plus aimable,
Sachons, sachons le faire aimer.
“Le Dogue et le Sapajou”