Quelque souple qu’on soit de cœur, de caractère,
Savoir se ménager le moindre protecteur
N’est pas une petite affaire.
A certain financier, haut et puissant seigneur
De son endroit, du reste homme fort ordinaire,
Certain auteur faisait la cour. Or cet auteur
Voulait faire imprimer un important ouvrage,
Qu’il jugeait tel au moins, en tout bien, tout honneur.
Se faire imprimer est-ce sage ?…
Depuis le roi David et son fils Salomon,
Dont les œuvres ont eu plus d’une édition,
D’imprimer à crédit l’on a perdu l’usage.
Et comme on pense bien, l’auteur n’a pas le sou.
Ne sachant donc ni comment, ni par où
Se tirer de son bout de rôle,
Au seigneur financier il va gratter l’épaule.
Eh bien ! lui dit celui-ci : sans façon
Faites une souscription ;
En rôle je mettrai mon nom.
Optime* jusque-là ; mais monseigneur ajoute :
Quand vous serez une fois bien en route,
Quand vous aurez bien au-delà des frais,
Au lieu d’une sotte préface,
Faites-nous une dédicace ;
Adressez-la moi, hein ? — Certes, dit l’autre ; mais
Dans son certes très-mal, oui, fort mal il déguise
De l’hésitation, certain air de surprise.
Monseigneur le comprend, et notre pauvre auteur,
Par une simple balourdise
S’est fait un ennemi cruel de ce seigneur.
Pour éviter cette disgrâce,
Ô mes dignes Concitoyens !
On me dit, je le crois, qu’un des meilleurs moyens
Est de vous dédier mon opuscule en masse.
Qu’il plaise à tout rang, toute classe,
Il ne manquera pas d’amis et de soutiens.
*Très bien. On le disait pour marquer son approbation.
“Le Fabuliste et le financier Grand Seigneur”