Louis Tremblay, l’Esope chrétien
Le jour s’effaçait Les montagnes
Se teignaient d’un bleu vague et noir,
Et l’ombre et les brumes du soir
Montaient et couvraient les campagnes.
Tout rentrait calme dans la paix :
C’était celles des heures sombres
Où les formes et les objets
Apparaissent comme autant d’ombres.
Or donc, au bout d’un sentier tout pierreux,
Longeant le mur d’une ferme isolée,
S’élargissait un fossé vaste et creux
Qui séparait le champ de la vallée.
Depuis une heure, en allongeant le cou,
On avait vu comme une forme noire
Se remuer au fond de ce grand trou ;
Et là dessus on faisait cette histoire :
C’était un loup, un loup monstre, géant,
Dont on voyait les sanglantes prunelles
Lancer la flamme en vives étincelles,
Et qui semblait, le gosier tout béant,
Prêt à manger les femmes et les hommes
— Comme un enfant avalerait des pommes.
— Pour tous enfin c’était un animal
Dont moins les yeux pouvaient saisir la forme,
Plus, dans l’effroi d’un pouvoir infernal,
On lui prêtait un appétit énorme.
Personne donc par cet étroit chemin
Ne passait plus déjà depuis la brune;
Et l’œil ouvert et se tenant la main
Tous se groupaient dans une peur commune.
Toute la nuit se fut passée ainsi
En sombre crainte, en longue veille, si
L’un de ceux-là qui composaient le groupe
— Qui dans chacun de ses membres tremblait
— N’eût fait entendre à chacun qu’il fallait
Vers l’animal s’acheminer en troupe.
L’avis est donc aussitôt adopté.
Bientôt chacun s’arme de son côté,
L’un d’une fourche et l’autre d’une pioche,
D’autres enfin de torches, de flambeaux;
Et, résolu, notre groupe en sabots
A pas comptés silencieux s’approche…
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Les voilà donc déjà près du fossé,
Où tous bientôt, grands et petits, s’étonnent
De ne pas voir les deux yeux qui rayonnent;
Car tout regard sur l’objet est fixé,
Tous les flambeaux l’inondent de lumière…
Béante enfin, la troupe tout entière
N’en croyait pas ce que son œil voyait ;
Car cette forme, hélas! tant effroyable,
Ce loup géant, ce monstre insatiable…
N’était qu’un pauvre attardé qui dormait !
— Bien des choses qu’on voit à travers la nuit sombre
Des préjugés jeunes ou vieux
Se déforment bien à nos yeux !
Apportez la lumière au milieu de cette ombre ;
Approchez, et vous verrez mieux.
Avis donc aux esprits prévenus. Combien d’hommes
Qui placés loin, trop loin de la religion,
En prennent les objets pour autant de fantômes.
Et qui, s’ils s’approchaient — de cœur ou d’action, —
Changeraient bien d’opinion!
“Le Fantôme”
La religion ne craint qu’une chose : c’est de n’être pas connue.
(Quintus Septimius Florens Tertullianus, dit Tertullien)