— Tais-toi, ne pleure pas, ou bien dans la rivière
Je te jette à l’instant, disait, tout en colère,
Certain individu qui, sur le parapet
D’un des ponts de Paris, entre ses bras tenait
Un enfant, dont la voix perçante répondait :
— Papa, petit papa, pardon,
Je ne le ferai plus. D’abord indifférente
Et sans beaucoup d’attention,
Des passants l’incessante foule
Qui, comme un large fleuve coule,
Regarda machinalement ;
Mais lorsqu’elle aperçut notre homme incontinent
Jeter du haut du pont le moutard dans la Seine,
Ce fut bientôt une autre scène.
D’un tel acte indigné chacun tout furieux
Sur lui brutalement se rue,
Le frappe à toute outrance et crie à qui mieux mieux :
Il faut que sur place on le tue.
Vainement celui-ci veut alors s’expliquer,
De son action dénouer
Le motif inconnu, la pardonnable cause.
Vingt rudes coups de poing, appliqués à la fois,
Etouffent sur le champ sa défaillante voix.
Déjà même l’on se dispose
A lui faire d’un pareil saut
Rejoindre le pauvre marmot,
Quand, aux regards surpris de la foule attroupée,
Pour sauver cet enfant dans les flots disparu,
Un digne batelier, promptement accouru,
Apporte ruisselante une énorme poupée.
A cet aspect, chaque assistant
De pousser des éclats de rire,
Et le battu, fort mécontent,
(C’était un ventriloque) aussitôt de leur dire :
— Malgré toute apparence, ô Messieurs, désormais
Sans entendre les gens, ne condamnez jamais.
“Le Farceur et les Passants”