Jean Baptiste François Ernest Chatelain
Une petite fille, un tout petit garçon
Etaient tous deux assis près d’un gentil buisson,
Et devisaient avec jactance
Sur leurs beaux vêtements de si fraîche apparence.
” Voyez,” disait le tout petit garçon,
” Quel beau chapeau j’ai là, quelle belle jaquette,
De ce pantalon neuf admirez la façon.
Vit-on de beaux cocos paire plus joliette ?
Peu d’enfants sont vêtus je croi
Si bien que moi !”
” En vérité,” dit la petite fille,
” M’est avis que je suis plus fringante que vous,
Ma pelisse est de soie, et neuf est le dessous,
Outre cela, sur mon beau chapeau brille
Une plume jonquille ;
Ma toilette, en un mot, coûte gros, je le sais !”
” Pas autant que la mienne, ouais ! ”
Dit le petit garçon.—” Cessez cette bisbille
Et taisez-vous petits,” leur dit une Chenille
Qui rampait sur la haie,—” Il vous appartient bien
De vous targuer ainsi d’un rien !
Ces vêtements que vous trouvez superbes
Ne valent certes pas du blé les jaunes herbes,
Vous ne les avez, vous, que de seconde main,
Ils ont été portés plus ou moins, je vous jure,
Et du soir au matin
Avant que d’être à vous par quelque créature
Que souvent vous estimez peu
Quoique fille aussi du bon Dieu ;
Et par exemple, cette soie
Avant que d’être à vous, de faire votre joie,
Enveloppa d’abord un ver tout comme moi.”
” Pour ça, c’est vrai, mademoiselle,”
Dit le petit garçon dans un joyeux émoi.
” Et cette plume aussi, que vous trouvez si belle,”
Dit un Oiseau sur un arbre perché,
Fut volée à quelqu’un des miens, et c’est péché ! ”
” Bravo ! ” dit le garçon : ” Soyez donc orgueilleuse
Après cela !—Pour moi, mes vêtements
N’ont origine aussi honteuse,
Les Vers ni les Oiseaux n’en font leurs ornements ! ”
” Ah ! pour cela c’est vrai, garçon, ne le conteste,”
Dit en cessant de paître une Brebis modeste,
” Mais avant d’être à vous
Ils furent sur le dos de quelqu’un de chez nous
Quand à votre chapeau, beau sire,
Il m’en coûte de vous le dire,
Car c’est vous affliger encor.
Vous le devez à la peau d’un Castor,
Et sans les Veaux, les Bœufs, mes compagnons d’étable.
Non seulement vous auriez maigre table,
Mais encor, sans eux tous, n’auriez les beaux cocos
Que vous vantez à tout propos ! ”
Lorsque des effets et des causes
L’homme néglige le Pourquoi,
Il risque fort de rester coi
Quand il veut un beau jour descendre au fond des choses !
“Le Fond des Choses”