Un maître forgeron avait un chien caniche
Qui dormait dans la forge, abandonnait sa niche,
Pendant que son bon maître et tous ses compagnons
Battaient sur le fer chaud, en chantant des chansons.
Quand la forge cessait, qu’on suspendait l’ouvrage,
Que maître, qu’ouvriers ne faisaient plus tapage,
Pour prendre du repos, en même temps manger,
Le chien se réveillait, on le voyait bouger,
S’empresser d’accourir à la frugale table,
Il y trouvait des os, pour lui mets délectable.
— Mauvais et rusé chien, lui dit le forgeron,
Je ne puis concevoir, que mes marteaux, leur son,
Ce retentissement qui fait trembler la terre
Ne troublent ton sommeil ; ce n’est pas ordinaire
Que le plus petit bruit, que l’on fait en mangeant
T’empêche de dormir, c’est vraiment étonnant.
— Ce n’est pas surprenant, mon très-honoré maître,
Répond le pauvre chien, si vous voulez permettre ,
Je vais vous expliquer comment cela se fait.
Le bruit de vos marteaux ne produit plus d’effet,
J’y suis habitué, je dis plus, il me berce.
Ne supposez donc pas une feinte perverse,
Ma réputation est faite, tous les soirs .
Et les nuits dans la cour, je remplis mes devoirs.
Maître, permettez-moi de trouver fort étrange
Que, toujours vigilant, je reçoive en échange
Des reproches bien durs, des mauvaises raisons,
Il ne manquerait plus que des coups de bâtons.
Pourquoi donc me traiter autrement que mon père?
Oh ! le temps qu’il vivait était un temps prospère ;
Nul mauvais traitement, pour nous aucun danger,
Vous aviez soin alors qu’on nous fît à manger.
Gardien toutes les nuits, qu’il gèle ou non, je pense
Bon maître, recevoir toute autre récompense,
Je n’ai démérité ; comme tous mes aïeux,
Les auteurs de mes jours, je devrais être heureux.
Tout aussi bien que moi, le malin dès l’aurore
Mon très vigilant père, oh ! je le vois encore,
Ayant bien fait le guet pendant toute la nuit,
En sa niche arrivait, puis, sans faire aucun bruit,
Craignant de m’éveiller, il disait que jeunesse
Doit dormir pour avoir une-heureuse vieillesse,
Près de moi se couchait et prenait du repos ;
Chaque jour au réveil on apportait des os.
Il est vrai, moi j’ai pris une douce habitude,
Je pensais témoigner toute ma gratitude
Au seul maître que j’aime, en venant au matin
Reposer près de lui, recevoir de sa main
A l’heure du repas, les débris de sa table.
Ah ! je suis malheureux, et vous peu charitable
D’interpréter si mal mon bien fin odorat, :
J’en suis au désespoir, voyez, le cœur me bat.
Cet admirable sens, bienfait de la nature,
Devrait être pour vous d’un excellent augure,
Car, si le jour je sens des mets la bonne odeur,
La nuit je sens aussi l’approche du voleur.
— Bien, Castor, mon bon chien, d’une parfaite race,
Donne vite la patte et viens que je t’embrasse.
“Le Forgeron et son Chien”