Louis de Combettes-Labourelié
Poète, écrivain et fabuliste XIXº – Le frelon
Les puissants et les forts, parmi les animaux,
Tenaient leur diète annuelle.
La séance était solennelle :
On votait des impôts nouveaux.
Les députés du centre, avec le ministère,
Longuement, savamment, avaient déjà parlé ;
Selon son ordinaire,
La gauche avait hurlé.
La droite s’abstenait, en cette circonstance,
Pour des raisons de haute convenance.
Bref, la séance finissait,
Et chacun à voter déjà se préparait ;
Quand soudain un frelon entra dans l’assistance,
Tourbillonnant,
Bourdonnant ;
Et sur-le-champ, avec irrévérence ;
Il alla s’attaquer au nez du président.
Puis de là, s’élançant,
Piqua l’un, piqua l’autre, et fit tant de tapage,
Tant de rumeur et tant de bruit,
Que monseigneur le président s’enfuit
Suivi de tout l’aréopage.
A quelques pas de là, mon frelon rencontra
Un autre frelon, son compère,
Très-commère,
Et, comme lui, grand faiseur d’embarras.
« Ami, » dit-il, « jamais animal politique
Ne fut aussi lassé que moi.
Des lourds travaux de la chose publique
Je suis seul à porter le poids.
J’arrive du sénat. Quel chaos !… quelle clique !
Nous n’y possédons pas un animal d’État.
Dans quelles pauvres mains est notre république !
Sans moi, certainement, ils ne s’en tiraient pas.
J’ai parlé, j’ai prouvé : soudain dans l’assistance
Chacun s’est tu ;
Victorieusement, à la fin, j’ai conclu.
Chacun m’applaudissait en levant la séance,
Et mon avis a prévalu. »
Que de frelons, en ce bas monde,
Qui s’en vont partout bourdonnant
Et disant
Que, sans eux, la machine ronde
Irait à l’envers du bon sens !
Louis de Combettes-Labourelié (1817-1881), Le frelon