Un bon marchand de Saint-Afrique ,
Par la tempête fut jeté Sur un rivage inhabité
De cette mer qu’on nomme Pacifique.
Il lui restait la vie , assez faible présent
Pour qui ne peut nourrir ce feu prêt à s’éteindre ;
Car notre pauvre marchand ,
Tout brisé de fatigue, en vain voudrait atteindre
Aux fruits de l’arbre agité par le vent,
Ou chercher des Hindous la sauvage demeure.
Il n’a pour assistans que la soif et la faim.
« Allons, dit-il, puisqu’il faut que je meure ,
« Ici paisiblement attendons notre fin. «
Lors il se couche, et demande à Morphée
Que ses assoupissans pavots
Émoussent le tranchant de la fatale faux.
Déjà , par un songe échauffée ,
Sa tète s’égarait dans une douce erreur,
Quand soudain un affreux tapage
Par un brusque réveil le rend à son malheur.
Sur les arbres du voisinage ,
De singes pétulans tout un aréopage
Tient séance. Leurs jeux, leurs sauts, leurs cris aigus
Font au loin retentir la plage.
Du triste naufragé les sens se sont émus ;
Il se lève en courroux. Ainsi faisait, je pense,
Charles-Quint, le fougueux reclus.
Alors qu’un moinillon , dans sa juste vengeance,
Venait éveiller à son tour
Ce vieux perturbateur du monde.
Notre homme redressé, de l’œil faisant la ronde,
Du peuple grimacier voit la bruyante cour.
Ce malin club, de la voix et du geste ,
Est par lui vertement tancé;
Et de son bras débile un caillou mal lancé
A moitié chemin… reste.
Le singe est fier, vindicatif, méchant,
C’est presque un homme. Aussitôt la canaille
Fait à grand bruit voler sur le marchand
Des fruits de la foret une épaisse mitraille.
« Courage ! ne m’épargnez pas, »
Crie à ses fournisseurs d’une nouvelle espèce
Notre Gascon , qui sait avec adresse
Les provoquer tout haut et les bénir tout bas.
Bref, il agit si bien , qu’on lui voit faire
A leurs dépens un bon repas,
Quoique servi pur la colère.
“Le Gascon, et les singes”