— Je le tiens donc, vilaine bête,
Tu me vas enfin le payer,
Oui, oui, le payer de ta tête,
Car je vais à l’instant te pendre à ce poirier
Et par cet exemple effrayer
Toute ton exécrable engeance !
C’est ainsi qu’animé d’une juste vengeance
Parlait le maître d’un jardin
A certaine taupe qui, prise
Au piège, entrevoyait une cruelle fin.
Cependant, revenue un peu de sa surprise
Et conservant l’espoir de conjurer la crise,
La dame au nez pointu, sur un ton patelin,
Répond : — Mon bon Monsieur, veuillez, je vous supplie,
Considérer que de ma vie
Je ne vous ai, foi d’animal,
Non, jamais, fait le moindre mal.
Je ne voyage que sous terre,
Quitte fort peu ma taupinière
Et ne peut, comme de raison,
Vous causer préjudice en aucune façon.
Daignez me distinguer de ces maudites races
De chenilles et de limaces
Qui, sans pudeur aucune, en plein jour, devant vous,
Semblant braver votre courroux,
Sillonnent vos produits de leurs impures traces
Et se font un malin plaisir
De tout gâter, de tout flétrir.
Loin de vous faire tort, je détruis, pour vous plaire,
Les insectes toujours disposés à mal faire,
Ces vers dévastateurs, ces hideux limaçons
Et ces voraces hannetons,
— Vil et fourbe animal, ton hypocrite mine
Met aujourd’hui le comble à mon ressentiment,
Depuis longtemps je sais le mal qu’à la sourdine
Tu me causes journellement ;
Je sais que par ton fait mes arbustes languissent
Et que, mordus au pied, mes choux, par toi périssent.
Apprends que l’on pardonne au loyal ennemi
Qui nous attaque face à face
Et que vite on se débarrasse
De l’infâme qui trompe en se disant ami.
Et là-dessus d’un coup de bêche
Vers l’autre monde il la dépêche.
“Le Jardinier et la Taupe”