Dans les Indes , un Jardinier
Cherchant des végétaux d’espèce curieuse,
Fit rencontre d’un marronnier
Qui portoit jusqu’aux Cieux sa tête sourcilleuse:
Ami, dit l’Indien, je suis
Le plus bel arbre du pays;
Mais d’y végéter je m’ennuie :
Transporte-moi dans ta patrie,
En un clos spacieux tu n’as qu’à me planter;
Je te promets de rapporter
Plus de fruits en quatre journées ,
Que ne seroient en quatre années
Cent arbrisseaux divers qu’on vient de te vanter.
Le Jardinier crédule, à grands frais le transplante.
Au retour du printemps le marronnier fleurit;
Et le rustre qui voit une fleur abondante ,
Déjà s’applaudit dans l’attente
D’un gros profit ;
Mais que devient le pauvre diable ,
Quand venant à goûter ce fruit tant attendu,
Il n’y sent pour toute vertu
Qu’une amertume insupportable !
Oh ! oh ! dit – il alors, qu’est – ce donc que cela?
Maudit arbre, du moins ton bois me vengera ;
Il vaudra mieux sans doute,
Et le marchand l’achètera.
Homme simple , lui dit un marchand qui l’écoute,
Où te propose-tu d’aller ?
– Voiturer au marchand ce bois qui m’embarrase.
— Eh ! que prétends-tu qu’il en fasse?
Il n’est pas bon même à brûler.
“Le Jardinier et le Marronnier d’Inde”
Claude Fleury – 1640 – 1723