Un serpent, s’étant approché en rampant de l’enfant d’un laboureur, l’avait tué. Le laboureur en ressentit une terrible douleur; aussi, prenant une hache, il alla se mettre aux aguets près du trou du serpent, prêt à le frapper, aussitôt qu’il sortirait. Le serpent ayant passé la tête dehors, le laboureur abattit sa hache, mais le manqua et fendit en deux le roc voisin. Dans la suite craignant la vengeance du serpent, il l’engagea à se réconcilier avec lui ; mais le serpent répondit: « Nous ne pouvons plus nourrir de bons sentiments, ni moi pour toi, quand je vois l’entaille du rocher, ni toi pour moi, quand tu regardes le tombeau de ton enfant. »
[quote style=”1″]Cette fable montre que les grandes haines ne se prêtent guère à des réconciliations.[/quote]- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Bucheron et le serpent
Un serpent avoit sa lanière
A l’huis d’un paisan bucheron:
L’enfant du paisan ne s’avise
Qu’il marche la beste surprise.
Qui le mordit par le talon.
Le venin dans les veines glisse:
Et soudain sa froide malice
Montant jusqu’au cœur l’estouffa.
L’enfant mourut: le pauvre pere
Et de douleur & de colere
Contre le serpent s’eschaufa.
Pour vanger son fils, sa congnee
Il a sus le champ empongnee,
Se plante au goulet du serpent.
Et tant attendre delibere,
Que celle méchante vipere,
S’elle sort, il tue l’attrapant.
Elle de son meffait coupable.
Cauteleuse & non decevable,
Guette autour devant que sortir.
Le pere, hastif de vengeance.
Un coup de sa congnee elance
Cuidant la beste mipartir.
Mais il la faillit, carla teste
De la beste à se plonger preste.
Dedans le trou se recacha.
La congnee à faute chassee.
D’une taillade en long tracee,
La roche du goulet trencha.
Ceste vermine ainsi evite
La vengeance & la mort subite.
A jamais du juste courroux
La marque sus le trou demeure,
Qui l’advertist qu’il ne s’asseure.
Aussi ne fait le serpent roux.
- Jean-Antoine de Baïf- 1532 – 1589
Les deux Perroquets le Roi et son Fils
Deux perroquets, l’un père et l’autre fils,
Du rôt d’un roi faisaient leur ordinaire.
Deux demi-dieux , l’un fils et l’autre père,
De ces oiseaux faisaient leurs favoris.
L’âge liait une amitié sincère
Entre ces gens : les deux pères s’aimaient ;
Les deux enfants, malgré leur coeur frivole,
L’un avec l’autre aussi s’accoutumaient,
Nourris ensemble, et compagnons d’école.
C’était beaucoup d’honneur au jeune perroquet,
Car l’enfant était prince, et son père monarque.
Par le tempérament que lui donna la Parque,
Il aimait les oiseaux. Un moineau fort coquet,
Et le plus amoureux de toute la province,
Faisait aussi sa part des délices du prince.
Ces deux rivaux un jour ensemble se jouants,
Comme il arrive aux jeunes gens,
Le jeu devint une querelle.
Le passereau, peu circonspec,
S’attira de tels coups d’aile,
On crut qu’il n’en pourrait guérir.
Le prince indigné fit mourir
Son perroquet. Le bruit en vint au père.
L’infortuné vieillard crie et se désespère,
Le tout en vain ; ses cris sont superflus ;
L’oiseau parleur est déjà dans la barque:
Pour dire mieux : l’oiseau ne parlant plus
Fait qu’en fureur sur le fils du monarque
Son père s’en va fondre, et lui crève les yeux.
Il se sauve aussitôt, et choisit pour asile
Le haut d’un pin. Là, dans le sein des dieux,
Il goûte sa vengeance en lieu sûr et tranquille.
Le roi lui-même y court, et dit pour l’attirer :
«Ami, reviens chez moi ; que nous sert de pleurer ?
Haine, vengeance, et deuil, laissons tout à la porte.
Je suis contraint de déclarer,
Encor que ma douleur soit forte,
Que le tort vient de nous ; mon fils fut l’agresseur :
Mon fils ! non; c’est le sort qui du coup est l’auteur.
La Parque avait écrit de tout temps en son livre
Que l’un de nos enfants devait cesser de vivre,
L’autre de voir, par ce malheur.
Consolons-nous tous deux, et reviens dans ta cage.»
Le perroquet dit : « Sire roi,
Crois-tu qu’après un tel outrage
Je me doive fier à toi ?
Tu m’allègues le Sort : prétends-tu, par ta foi,
Me leurrer de l’appât d’un profane langage ?
Mais, que la Providence, ou bien que le Destin
Règle les affaires du monde,
Il est écrit là-haut qu’au faîte de ce pin,
Ou dans quelque forêt profonde,
J’achèverai mes jours loin du fatal objet
Qui doit t’être un juste sujet
De haine et de fureur. Je sais que la vengeance
Est un morceau de roi ; car vous vivez en dieux.
Tu veux oublier cette offense ;
Je le crois : cependant il le faut, pour le mieux,
Eviter ta main et tes yeux.
Sire roi, mon ami, va-t’en, tu perds ta peine :
Ne me parle point de retour :
L’absence est aussi bien un remède à la haine
Qu’un appareil contre l’amour.»
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)