Un lapereau sur la lisière
D’un taillis où croissait
Je thym Humait le frais et la lumière
Que sur l’herbe et sur la bruyère
Versait le soleil du matin.
Tout heureux de son sort, notre jeune lapin
Broutait, trottait, frappait la terre
De ses deux pattes de derrière;
Puis s’asseyait, faisait le beau,
Des pattes de devant caressait son museau ;
Puis reparlait, puis s’asseyait encore.
Depuis le lever de l’aurore
Il folâtrait ainsi sur le gazon,
Lorsqu’il vit derrière un buisson
Un vieux lapin à barbe grise
Qui, s’abritant contre la brise,
Depuis l’instant de son réveil,
Tranquillement se chauffait au soleil.
C’était un fin matois, qui savait à merveille
Mettre en défaut et les bassets.
Et les renards et les lacets.
Mais quelques grains de plomb passés dans son oreille
Montraient qu’il avait vu l’ennemi d’assez près.
Fort bien portant à cela près,
Si les ans de sa course enchaînaient la vitesse,
Il avait, comme on dit, une belle vieillesse.
— Grand-père, dit le lapereau.
Quoi! vous restez couché sur l’herbe,
Tandis que le temps est superbe!
Venez brouter le thym nouveau
Et célébrer le renouveau
En gambadant par la rosée….
Excusez; je ne pensais pas
Que l’âge appesantit vos pas.
De vous blesser je n’ai pas la pensée;
Mais quand je vois tout en vous s’affaiblir,
Votre rare fourrure et votre voix cassée,
Je vous plains et me dis : C’est triste de vieillir. —
Le vieux lapin répond avec un doux sourire :
— Comme vous venez de le dire.
C’est triste de vieillir, mon cher enfant, d’accord;
Mais de ne pas vieillir, c’est bien plus triste encor.
Pour échapper à la vieillesse,
Il n’est qu’un moyen sérieux .
C’est de mourir dans sa jeunesse ;
Cela vous conviendrait-il mieux ?
J’en doute fort; ainsi, devenez vieux
Si le ciel le permet; ami, dans cette affaire,
Vous n’avez rien de mieux à faire.
Et puis, redoutez moins un mal qu’on exagère;
Sur mes besoins réglant mes pas,
Je marche, moi, je ne cours pas,
Mais j’arrive à mon but; c’est là le nécessaire.
Le soleil me sourit, et la splendeur des cieux
Comme aux vôtres, brille à mes yeux.
J’en jouis comme vous, et plus que vous peut-être ;
Une douce chaleur pénétrant tout mon être,
Ranime mes sens paresseux.
En jouirai-je encor bien longtemps? je l’ignore;
De l’avenir nul ne sait rien.
Bien longtemps avant vous j’ai vu lever l’aurore;
Après vous quelque temps je peux la voir encore.
Mais rompons là cet entretien :
De loin j’entends la voix d’un chien
Qui s’approche et devient de plus en plus sonore.
Je vais dans mon terrier me cacher bel et bien.
Suivez-moi, mon enfant, ou tirez vite au large;
Évitez le danger. — L’étourdi n’en fit rien.
— J’ai le temps, — disait-il, bientôt une décharge
L’étendit mort sur le gazon.
— Le vieux lapin avait raison ,
— Dit-il en expirant; —j’en suis la triste preuve ;
Ne vieillit pas qui veut. —
Cette leçon
A la vérité n’est pas neuve,
Mais elle est toujours de saison.
“Le Lapereau et le vieux Lapin”