Au Bœuf maître d’un pâturage,
Certain Lapin devait un an de pension
A tous les gens du voisinage
Il devait sans exception;
Ici peu, là beaucoup.
Toujours sur son passage :
Payez l’herbe, ou payez le son;
Payez-moi, payez-moi; toujours même chanson.
Ayant tout épuisé, promesses et grimaces,
Il cherchait quelque méchant tour,
Car on en était aux menaces.
Il y rêvait tout seul, quand il découvre un jour
Une Gazelle morte et gisant sur la terre.
Messieurs mes créanciers, voilà bien notre affaire,
Dit-il, vous verrez du nouveau.
La Gazelle écorchée, il en revêt la peau,
L’ajuste de son mieux, et va dans la prairie.
« Pauvre Gazelle, hélas ! que t’est-il arrivé?
Et qui donc ainsi t’a maigrie ? »
Disait chaque bête attendrie.
— « C’est le Lapin que j’ai trouvé
Faisant quelque sorcellerie.
Voyez : il m’a maudite; il m’en coûte bien cher ;
Dieu vous garde de le fâcher ! »
— « Eh ! l’entendez-vous, ma commère?
Cet avis vous vient à propos ;
” Je crains quelque mauvaise affaire ;
Laissons le Lapin en repos. »
Le drôle ainsi paya ses dettes.
Tirons de cette fable une moralité :
Spéculer sur la crainte et la crédulité,
C’est jouer à coup sûr. Ah ! pauvre humanité !
Chez nous, par ce moyen, que de fortunes faites!
“Le Lapin qui se revêt de la peau d’une Gazelle”