« Que je vous plains, dame Tortue !
« Traîner ainsi partout avec soi sa prison !
« Rien qu’à vous voir, ma bonne, en vérité j’en sue. »
Ainsi parlait Frétillon,
Jeune Lézard sans cervelle,
Allant, venant, trottant sur l’émail du gazon,
A la douce chaleur de la saison nouvelle.
Comme il jasait encore, un perfide caillou,
Une pierre maudite, arrivant de la lune,
(Nos savants en ont vu plus d’une
Pleuvoir ainsi je ne sais d’où)
Soudain frappe en sifflant la marcheuse pesante,
Qui d’effroi tressaillit sous son arche ambulante.
Le choc fut rude. Par bonheur,
Le bloc tombé du ciel mollit contre l’écaille :
L’animal portant muraille
En fut quitte pour la peur.
Mais du caillou, brisé contre la voûte épaisse,
Un frêle éclat atteint le trotteur sémillant :
Rien ne lui sert sa gentillesse,
Et sa souplesse,
Et sa robe d’un vert luisant ;
Meurtri, broyé du coup, à travers les campagnes
Le pauvre Frétillon s’en va clopin clopant :
Et tandis qu’il se plaint à Jupiter tonnant
De la chute des montagnes ;
Du creux de son bastion,
Sa voisine l’amphibie
Le suit de l’œil, et s’écrie :
« Heureux poids que ma maison ! »
“Le Lézard et la Tortue”
- Jean-Nicolas-Marie Deguerle – 1766 – 1824