Autour du tronc d’un vieil érable
Un lierre touffu se dressait,
Et de ses feuilles embrassait
Le centenaire vénérable.
À ses pieds croissait un buisson,
Ainsi que le hérisson,
Armé d’épines aiguës,
Et d’un aspect menaçant,
Pour les habits ou la peau du passant,
Qu’il accrochait à ses lances pointues.
Au lierre un jour s’adressant,
Il lui dit, d’un ton blessant :
« Toi qui grimpes vers les nues,
« En montant sur le corps d’autrui,
« Si tu perdais cet appui,
« Tu ferais vite la culbute ;
« Il t’entraînerait dans sa chute
« Et tu périrais avec lui.
« Au lieu d’une tige si frêle,
« Sans vouloir monter trop haut,
« (C’est là ton principal défaut,)
« Si ton corps était moins grêle
« Et mieux proportionné,
« Tu ne serais pas condamné
« À regretter le sort du plus chétif arbuste.
« La Nature pour toi sans doute fut injuste.
« Mon voisin, en te donnant
« Une taille de géant
« Et la maigreur d’un pygmée,
« Sans, comme moi, t’avoir armée
« De dards effilés, et surtout
« En t’empêchant de rester seul debout. »
Voici la réponse du lierre :
« Tes traits sont piquants, mon confrère,
« Tant au physique qu’au moral.
« Cependant il ne te sied guère
« De dire sur autrui du mal.
« Ce n’est pas d’un bon caractère.
« Tu grossis mes défauts et ne vois pas les tiens,
« Dont ton orgueil se glorifie.
« Moi, sans me disculper des miens,
« Que nullement je ne nie,
« À tes épines point ne tiens,
« Ni le sort des autres n’envie,
« Mais dans l’obscurité je passe heureux ma vie.
« Je préfère assurément
« Être taxé d’impuissance
« Et requérir constamment
« D’un étranger l’assistance
« Que d’être accusé d’arrogance.
« J’aime mieux être faible, en ayant un ami
« Qui me soutienne et me protège,
« Que d’être, en t’imitant, des autres l’ennemi.
« C’est à mes yeux un triste privilège. »
Nous laissons dans l’isolement
Les gens dont l’esprit satirique,
Sans raison et méchamment,
D’une mordante critique,
Par leur plume ou leur voix nous pique ;
Mais on s’attache au cœur aimant
Qui, satisfait d’un rang modeste,
Reconnaît le bien qu’on lui fait
Et, loin d’en rougir, manifeste
Sa gratitude du bienfait.
“Le Lierre et le Buisson épineux”