Un vieux lion, sultan d’une forêt,
Etait mort en laissant à son fils en partage
Sa couronne et son nom, redoutable héritage
Pour un lionceau de qui l’âge
À plus d’un danger l’exposait.
Et bientôt, en effet,
Le loup et le renard, ennemis de sa race,
Ameutaient contre lui les animaux des bois,
Et par la ruse, autant que par l’audace,
Ils expulsaient le fils des rois.
Le lionceau, traqué, bloqué dans sa tanière,
Se débattit longtemps et bravement en vain.
Hélas ! seul, que pouvait-il faire
Contre le grand nombre et la faim ?
Il fléchit, Isengrin
Et Goupil, son compère,
Triomphaient et faisaient des lois.
Et les bons animaux des bois,
Comme de vrais moutons, les laissaient faire
Et les laissaient écrire à leur chapeau :
— C’est nous qui sommes rois, pasteurs de ce troupeau
Et Jean Lapin, d’une voix haute et fière,
En tout lieu répétait : — Bienheureuse la terre
Où le lion n’est plus ! Tandis qu’il pérorait,
Gringuet, le lièvre, qui, de son gîte, écoutait,
Sans bruit s’approche et lui dit : — Frère,
C’est bien parler. Je vois qu’ils ont fait leur affaire,
Nos bons seigneurs ; mais nous, pauvre gent populaire.
Dis-moi, Jean, qu’y gagnerons-nous ?
Serons-nous mieux gardés des renards et des loups ?
De tout ceci la fin, selon mon sens, est claire,
À savoir que, tout simplement,
Mon cher, il adviendra qu’après tout comme avant,
Je serai Gringuet et que toi, tu seras Jean.
Le populaire adore ce qui change ;
Avec fureur, il court vers le nouveau ;
Il croit toujours gagner au change ;
Pourtant, le plus souvent, il fait comme Jeannot
Qui, contre une alumette, échange son couteau.
“Le Lièvre”