Un Lièvre, qui était honteux d’être poltron, cherchait quelque occasion de s’aguerrir. Il allait quelquefois par un trou d’une haie dans les choux du jardin d’un paysan, pour s’accoutumer au bruit du village. Souvent même il passait assez près de quelques mâtins, qui se contentaient d’aboyer après lui. Au retour de ces grandes expéditions, il se croyait plus redoutable qu’Alcide après tous ses travaux. On dit même qu’il ne rentrait dans son gîte qu’avec des feuilles de laurier, et faisait l’ovation. Il vantait ses prouesses à ses compères les Lièvres voisins. Il représentait les dangers qu’il avait courus, les alarmes qu’il avait données aux ennemis, les ruses de guerre qu’il avait faites en expérimenté capitaine, et surtout son intrépidité héroïque. Chaque matin, il remerciait Mars et Bellone de lui avoir donné des talents et un courage pour dompter toutes les nations à longues oreilles. Jean Lapin, discourant un jour avec lui, lui dit d’un ton moqueur : « Mon ami, je te voudrais voir avec cette belle fierté au milieu d’une meute de chiens courants. Hercule fuirait bien vite, et ferait une laide contenance. — Moi, répondit notre preux chevalier, je ne reculerais pas quand toute la gent chienne viendrait m’attaquer. » A peine eût-il parlé, qu’il entendit un petit tournebroche d’un fermier voisin, qui glapissait dans les buissons assez loin de lui. Aussitôt il tremble, il frissonne. il a la fièvre, ses yeux se troublent, comme ceux de Paris quand il vit Ménélas qui venait ardemment contre lui. Il se précipite d’un rocher escarpé dans une profonde vallée, où il pensa se noyer dans un ruisseau. Jean Lapin, le voyant faire le saut, s’écria de son terrier : « Le voilà, ce foudre de guerre! Le voilà, cet Hercule qui doit purger la terre de tous les monstres dont elle est pleine ! »
- Fénelon 1651 – 1715