Le Lion dans sa jeunesse abusant insolemment de sa force, et de l’ascendant qu’il avait sur les autres animaux, se fit plusieurs ennemis. Quand ils le virent usé et affaibli par les années, ils résolurent de concert de tirer vengeance de ses cruautés, et de lui rendre la pareille. Le Sanglier le meurtrissait avec ses défenses ; le Taureau l’attaquait avec ses cornes. Mais l’affront le plus sensible au Lion, était les coups de pied que l’Âne, le plus vil et le plus méprisable de ses ennemis, lui donnait en l’insultant.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Leo Senex, Aper, Taurus et Asinus
Quicumque amisit dignitatem pristinam,
ignauis etiam iocus est in casu graui.
Defectus annis et desertus uiribus
leo cum iaceret spiritum extremum trahens,
aper fulmineis spumans uenit dentibus,
et uindicauit ictu ueterem iniuriam.
Infestis taurus mox confodit cornibus
hostile corpus. Asinus, ut uidit ferum
impune laedi, calcibus frontem extudit.
At ille exspirans ‘Fortis indigne tuli
mihi insultare: Te, Naturae dedecus,
quod ferre certe cogor bis uideor mori’
- Phedre – (14 av. J.-C. – vers 50 ap. J.-C.)
Le Lion devenu vieux, le Sanglier, le Taureau et l’Ane
Quiconque a perdu son ancienne puissance, se voit dans le malheur en butte aux insultes même du lâche.
Abattu par les années, abandonné de ses forces, le Lion, gisant à terre, allait rendre le dernier soupir. Le Sanglier vint à lui, et, d’un coup de ses terribles défenses, se vengea d’une vieille injure : bientôt après, de ses cornes redoutables, le Taureau perça le corps de son ennemi. L’Ane, voyant qu’on pouvait alors impunément outrager le roi des animaux, lui frappa la tête à coups de pieds. Le Lion lui dit en expirant : «J’ai supporté avec indignation les insultes des plus braves; mais souffrir tes atteintes, opprobre de la nature, ce me semble mourir deux fois.»
- Fable de Phedre traduite par Ernest Panckoucke ‘ 1808 – 1886) édition 1839
D’un Lions qui malades fu
Dou Léons cunte li escriz
Ki deffaiz ert et ënveilliz ;
Malades jut mult lungement
Del’relever ni ot noient .
Tutes les Bestes s’assanblèrent,
Pur li véoir à Curt alèrent.
Li plusur sunt pur lui dolant
E à aucuns n’en chaut noiant,
E tiex jà i vunt pur dun
A la devise dou Lïun.
E saveir voelcnt li phisur
S’en lui a maiz point de retur :
Li Tors de ses cornes le bute,
E li Asnes qui pas nel’ dute
De sun pié le fiert seur le pis ;
D’altre part i vint li Golpis,
As dens le mort par les oroilles.
Dist li Léons , or voi mervoilles,
Bien me suvient k’en mun aé
Qant junes fu et en santé,
Que tutes Bestes me dutoient
E cume Seignur m’aoroient ;
Qant ère iriez mult se cremeient
Seur tute rien trop me duteient
0r me veient mult affébloié,
Mult defulei et avillié,
Mult me semble gregnur vilté
De cex ki furent mi privé,
A ki jeo fiz honur è bien.
Ki ne membre de nulle rien
Que des autres ki ge méfis.
Li nun-poissanz a po d’amis.
Moralité.
Par méismes ceste resun
Prenuns essanple dou Liun ;
Quicunques chiet en nun poeir
S’il pert se force et sun aveir
Mult le tiennent à grant vilté
Neis li plusur qui l’unt amé.
- Marie de France – (1160 – 1210)
Le Lion devenu vieux
Le Lion, terreur des forêts,
Chargé d’ans et pleurant son antique prouesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,
Devenus forts par sa faiblesse.
Le Cheval s’approchant lui donne un coup de pied ;
Le Loup un coup de dent, le Boeuf un coup de corne.
Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne,
Peut a peine rugir, par l’âge estropié.
Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes ;
Quand voyant l’Ane même à son antre accourir :
“Ah ! c’est trop, lui dit-il ; je voulais bien mourir ;
Mais c’est mourir deux fois que souffrir tes atteintes. ”
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)
Le lion devenu vieux et l’Ane
L’âne qui venait lâchement
De frapper le lion que la force abandonne,
Par un baiser bien lourd appliqué lourdement
Veut réparer sa faute… « Espères-tu, vraiment,
Dit le lion, qu’on te pardonne?
Baisers ou coups de pied, quand un âne les donne,
N’est-ce pas toujours insultant? »
A plus d’un journaliste on peut en dire autant.
- Pierre Casimir Hyppolyte Lachambeaudie – (1806 -1872)