Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Le Lion amoureux, analyse.
Le Lion amoureux, analyse de MNS Guillon – 1803.
Le Lion amoureux perdit ongles et dents.
Et vit ses ennemis accabler sa faiblesse.
Hommes, quand vous aimez, êtes-vous plus prudents ?
Où ne vous réduit point une aveugle tendresse.¹

(1) Sévigné. Françoise-Marguerite de Sévigné, fille de la célèbre madame de Sévigné, épousa en 1669 François Adhemar de Monteil, comte de Grignan, lieutenant-général au gouvernement de Provence. Elle fut obligée d’y suivre son mari, et d’y vivre éloignée de sa mère. Madame de Sévigné trouva dans son amour pour sa fille le tourment de sa vie : elle exprima dans toutes ses lettres sa tendresse pour elle ; et par un charme inexprimable , par une abondance unique, toutes ses lettres sont variées agréablement ; point de redites, de monotonie : on croit toujours lire pour la première fois ce qu’elle lui dit de tendre. Madame de Grignan justifiait par bien des qualités les sentiments de sa mère. Elle était belle , bien faite ; beaucoup de charmes répandus sur toute sa personne la rendaient très-aimable : elle avait l’esprit très orné , très cultivé en 1705.
2 ) Et voir, sans vous épouvanter,
Un Lion qu’Amour sut dompter. Avant que notre ingénieux Girardon eût imaginé de faire sortir l’arc de l’Amour du tronc noueux d’un chêne, les anciens s’étaient plus à représenter sous toutes sortes de formes les triomphes de ce Dieu, sur tous les êtres qui composent l’univers. Ici on le voit se jouer à travers les flots, porté sur la croupe des monstres de la mer; là il attèle à son char les Tigres indomptables ; ailleurs, monté sur le dos d’un Lion, il le mène, en se servant de sa crinière comme d’une bride, ainsi que parle Lucien, tandis que d’un antre côté il prend et caresse de ses mains la patte d’un Lion debout auprès de lui, comme pour, l’exercer à la danse. (V. Montfaucon, Antiq. expl. T. I. pl. 114 et 115. Mariette, Wînkelmann, Hist. de l’Art, t.III. p. 13, etc.) Mais observez qu’en imitant par des images palpables un sentiment à qui tout obéit, l’allégorie ne sort pas du cercle de la nature, l’objet de ce sentiment n’a pas besoin d’être énoncé pour être connu ; et le silence même de l’artiste est un hommage à la nature. Voulez-vous aller au-delà de la nature ou de l’opinion ? vous n’offrez plus qu’un tableau bizarre, invraisemblable , qu’un amalgame monstrueux et sans attraits pour l’imagination: ce seront les amours infâmes d’une Pasiphaé. Jugeons d’après ces principes la fable

(3) Du temps que les bêtes parloient Exorde devenu très-commun depuis Ésope. Rabelais : ( Au temps, que les bestes partaient ( il n’y ha pas trois jours ), un pauvre Lion, etc. ( Pantagr. t. II. ch. 15. ) Le fabuliste espagnol Yriarte, commence de même le recueil de ses apologues :
Alla en tempio de entonces
Y en terras mui remotas,
Quando hablabau los brutos..
« Au temps jadis, et dans des contrées lointaines, alors que les bêtes parloient, etc.» Un poète français ajoute :
Ce temps est plus voisin du nôtre qu’on ne pense.
(Élite de Poés. t. I. p.23o.)
(4) Et belle hure. Ce mot s’applique spécialement au Sanglier.
Tout ce que dit ici le poète, n’est qu’une plaisanterie assez fade, contre des fous d’une autre espèce. ,
(5) Voici comment il en alla. Cette tournure, bannie du style noble, s’est conservée dans quelques provinces.
(6) Parentage ne se retrouve plus que dans les anciens livres. Clém.. Marot :
Il est issu d’excellent parentage.
(Ch. nuptial, t. 1.p. 295.)
(7) Qu’on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin. Le poète paraît supposer qu’il y eut de l’intelligence entre le Lion et la fille. Cela excède la plaisanterie.
On lit dans l’histoire ancienne de M. Rollin, une imitation intéressante de cet apologue (Voy. T. VII .p. 152. éd.in. 12).
* Dans la fable anglaise de Moore , le Loup amoureux demande une jeune Brebis en mariage, et l’obtient. Un âne unit le couple. L’innocente victime devient bientôt la proie du farouche époux , qui la dévore. Censure des mariages mal assortis.
Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
¹ Quatrain d’Issac de Benserade, fables d’Ésope.