Sire Lion avait de vrais amis
Qui lui portaient l’intérêt le plus tendre ;
Voilà certes de quoi surprendre,
Un tel bonheur aux rois est rarement permis.
Comme il les connaissait francs, loyaux et sincères,
Notre lion souvent confiait à leur foi
Les contrariétés, les soucis, les misères
Que le pouvoir traîne après soi.
Or, j’ai lu dans une chronique
Qu’un jour avec l’un d’eux il eut cet entretien :
— Mon cher ami, je veux le bien,
Et cependant, pour la chose publique,
Vous le savez, je ne peux presque rien.
A l’égard des lions la défiance est telle
Que l’on m’a mis en curatelle ;
J’ai moins de liberté qu’un simple citoyen.
Que je veuille une bonne chose,
Je ne peux pas l’exécuter.
Sur chaque point que je propose,
On doit auparavant longuement discuter ;
Et quand ce serait même une affaire d’urgence,
Il ne faut pas compter sur plus de diligence,
Sur des discours plus brefs, sur de plus courts débats ;
On parle, parle, parle. et l’on n’en finit pas.
Si l’esprit de parti s’en mêle,
C’est encore un autre embarras ;
On se chamaille, on se querelle,
Quant au point principal, on en fait peu de cas.
— Si vous agissiez seul, tout marcherait plus vite,
Répliqua l’interlocuteur.
— Silence ! contre vous craignez qu’on ne s’irrite,
Qu’on ne vous traite de flatteur.
Mais une chose encor m’afflige :
De la royale majesté
On a détruit tout le prestige,
En enchaînant sa volonté.
Les lions sont-ils tant à craindre ?
D’ordinaire ils sont généreux.
Jadis les animaux étaient-ils plus à plaindre,
Quand mes prédécesseurs avaient tout droit sur eux ?
Répondez franchement, mon cher ami, j’écoute…
Et l’ami répondit: — Si j’en crois mon bon sens.
Je dois vous l’avouer, j’en doute ;
Car j’aime mieux avoir un maître que deux cents.
1844
“Le Lion en curatelle”
- Pierre Bergeron 1787 – 18??