Analyses de MNS Guillon – 1803
Le Lion et le Moucheron analysées par MNS Guillon – 1803
(1) Va-t-en, chétif insecte, excrément de la terre. Quelle mer veilleuse variété le poète a su mettre dans ses exordes ! Celui dit Chêne et du Roseau offre quelque rapport avec celui-ci : même orgueil dans le ton avec lequel s’expliquent les divers acteurs. Le Lion joue ici le rôle du Chêne dans cette fable ; mais là le poète a nommé ses interlocuteurs : Le Chêne un jour dit au Roseau. Ici on n’a point encore vu les personnages : à qui s’adresse ce langage insultant, ces expressions pleines du plus orgueilleux mépris? Chétif insecte, excrément de la terre. En peut-on imaginer de plus avilissantes ? On ne le connoît pas encore, ce méprisable ennemi : on le désire , on l’attend, on s’intéresse à lui plus que s’il étoit déjà connu.
On lit dans une très-belle ode, plus ancienne que nos fables :
Va-t’-en à la malheure, excrément de la terre , Monstre, etc.
Sur quoi Ménage, par qui elle est citée, observe que cet hémistiche; excrément de la terre, « lui semble trop bas pour un tyran plus haï que méprisé ; ce mot ne signifiant que mouches, vermisseaux et autres créatures imparfaites qui se forment de la corruption de la terre, etc. » (Ménage, sur Malherbe, page 443. Paris, Basbin, 1699). (2) L’autre lui déclara la guerre. Le contraste est frappant : une déclaration de guerre , voilà sa réponse. Pouvoit-on s’y attendre ? Quel puissant intérêt va naître de cette surprise !
(3) Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi. C’est là son manifeste. On diroit qu’il lui fait grâce encore de lui passer ce titre de roi. Le Romain de Corneille n’est pas plus fier, quand il prononce:
Pour être plus qu’un roi, tu te crois quelque chose.
(4) Me fasse peur ni me soucie? M’inspire ou crainte ou respect. Ni l’un ni l’autre. Il y a du raisonnement dans le Moucheron ; il n’y a que de la colère dans le Lion. Les caractères se prononcent : on se prévient involontairement en faveur du plus foible, contre son insolent agresseur. On n’est point fâché de voir humilier une force qui n’est que brutale.
(5) Un Bœuf est plus puissant. II ne dit point, plus fort ni plus courageux; ce qui seroit contre la vérité. Puissant se dit de la taille, et convient au Bœuf.
(6) Que lui-même il sonna la charge. Voilà les apprêts du combat. On voit les adversaires en présence: un nain contre un géant ! N’importe, le contraste en est plus piquant. Le poète profite avec adresse du bourdonnement de l’insecte, pour en faire l’accent de la trompette, et le prélude de l’attaque.
(7) Il se met au large. Comme ces expressions agrandissent le foible adversaire du Lion ! C’est un athlète qui a franchi la barrière pour entrer dans l’arène. Puis prend son temps. Tout est gradué. Le poète fut spectateur du combat avant d’en être l’historien. Prend son temps. Rien n’est donne au hasard, ni à la précipitation. Ces mouvemens si bien’ concertés, justifient d’avance la victoire de la prudence sur la force. Fond. Ce simple monosyllabe exprime la rapidité de l’attaque. Rend presque fou. La colère, disent les philosophes , est une courte démence : elle désarme, elle enchaîne le courage , elle le livre sans défense aux coups de l’ennemi.
(8) Le quadrupède. Le mot animal n’auroit point cette pompe. Ecume, et son œil étincelle , il rugit. Ce sont là les caractères de la fureur. La précision de ces vers n’en est encore que le moindre mérite. Quel feu! quelle vérité dans ces images: on se cache, on tremble à l’environ ! Ainsi dans la Phèdre de Racine ?
Tout fuit , et sans s’armer ‘un courage inutile , Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Mais là, cette terreur est l’ouvrage d’un monstre furieux, vomi des abîmes de la mer. Elle est ici l’ouvrage, de qui ? d’un Moucheron. Bien que le lecteur ne l’ignore plus, sa surprise n’en est pas moins une jouissance.
(9) Un avorton de Mouche ajoute encore à la force du contraste. Ce n’est pas tout : l’invisible ennemi, un avorton s’apperçoit; mais lui, il est si petit, si subtil, qu’il se dérobe à la plus perçante vue. Et rit de voir qu’il n’est griffe ni dent. Il a réussi à armer son ennemi contre lui-même. Les vers qui suivent sont de la plus grande force. Toute cette tirade est parfaite.
(10) But l’air qui n’en peut mais. Expression commune dans les anciens auteurs. Est-ce que j’en puis mais, (Molière, dans l’Ecole
des Femmes, Acte V. sc. 4.) Des écrivains en prose , d’ailleurs très estimable l’ont employée. « On brise des chars de triomphe qui n’en peuvent mais , » a dit l’abbé Batteux, ( Cours de Belles-Lettres. T. III. page 144.)
(11) Le voilà sur les dents. Enfin il n’y a plus de doute sur l’issue du combat. Le plus fort des animaux a succombé sous l’aiguillon d’un insecte. Il est sur les dents. Rien ne manque à l’ignominie de la défaite.
Voyez dans Florian (Liv. II. fab.14) , une description de la colère du Lion.
(12) Comme il sonna la charge, il sonne la victoire. Quelle importance ce vers donne au redoutable ennemi ! Seul il suffit à tout; la répétition du mot sonne, le fait voir en tête comme au terme du combat. M. l’abbé de Lille a imité ce vers d’une manière admirable.
Que j’observe de près ces clairons, ces tambours, Signal de vos fureurs, signal de vos amours, Qui guidoient vos héros dans les champs de la gloire , Et sonnoient le danger, la charge et la victoire.
( Géorgiques franc. Chant III. )
(13) Et rencontre en chemin
L’embuscade d’une Araignée. La fable change d’action, et devient un second apologue soumis à sa morale particulière : ce qui est contre le précepte de l’unité. Du teste cette fable est si belle, l’intérêt est si animé, si soutenu, la morale résultant de cette duplicité d’action si philosophique, qu’il faut reprocher non à La Fontaine d’avoir manqué à l’art, mais à l’art d’être si sévère. Pour achever l’éloge de ce chef-d’œuvre , qu’on le compare à la fable de Dorat, intitulée : l’Aigle et le Moucheron. C’est |a lutte du bel esprit contre le génie.
Allant, venant, sifflant, l’écervelé s’en donne ; Agé d’une minute, il est déjà barbon :
Il brave le qu’en dira-t-on,
Et près de son altesse à tue-tête il fredonne.
Qui ne vit qu’un moment ne peut nuire à personne,
Et doit vivre du moins comme il lui semble bon :
Aussi fait-il. Il caracole Sur le bec du roi des oiseaux, Le pique à l’œil, et gaiment le désole, Puis orgueilleusement se perche sur son dos.
L’Aigle, au lieu de battre de l’aile
Et de prendre son vol vers la voûte éternelle ,
Se courrouce mal-à-propos : Il attaque l’insecte, il daigne le poursuivre, Ouvre sa large serre , et perdant la raison,
A toute sa rage il se livre, etc. (Le Lion et le Moucheron)