Fables de l’Académie des jeux floraux
Présentée au Concours; Par Mme la Comtesse Clémence de Corneillan, Paris
Un mauvais conseil m’a perdu ! Florian
Sur le bord d’un ruisseau limpide,
Encadré de gazons soyeux
Frais abri du lapin timide»
Croissait un Lis majestueux.
II portait d’un air fier ses urnes gracieuses
Aux parfums embaumés, — planant avec amour
Sur quelques fleurs des champs qui l’entouraient, joyeuses
De composer sa cour.
Vêtus de leurs robes moirées,
Les plus élégants papillons
Balançant au soleil leurs ailes diaprées,
Accouraient pour le voir des plus lointains vallons.
Chacun d’eux lui jurant, en son gentil langage,
De le chérir toujours, de n’être point volage.»
Quel souverain jamais a vécu sans flatteurs?
Mais combien leurs discours, parfois, coûtent de pleurs !…
Au souffle printanier en un matin éclose,
Rayonnante d’éclat, de carmin velouté,
Une Rose naquit, fraîche….comme une rose!
Répandant ses parfums, étalant sa beauté,
Son feuillage luisant, ses tiges sans épines,
(Ou que son art ne montrait pas),
Elle éblouit soudain ses rustiques voisines.
Myosotis, Glaïeul, Menthe aux grappes lilas,
Du jeune Lis désertèrent les charmes
Pour admirer la Rose et vanter ses appas.
Le pauvret fut jaloux… — En versant quelques larmes,
Il mira son front pur dans l’onde du ruisseau ;
Puis, rassuré pourtant en se voyant si beau :
« Ah! dit-il, qu’a de mieux la Rose qu’on adore ?
» Ma taille, comme un jonc est souple et fine encore;
» Mon feuillage émeraude en panache étalé
» Flotte au tiède zéphyr; mon pistil étoilé
» Qu’un jaune ardent colore,
» Semble un bijou d’or pur sur l’argent de mon sein »
» Et d’abeilles, toujours, un bourdonnant essaim
» Puise un miel embaumé dans mes coupes d’albâtre! …
» Par de frêles succès me laisserai-je abattre?
» Non, non! tous ces ingrats me reviendront…soumis !»
Une Ronce écoulait; — méchante et fort railleuse,
Déchirant sans remords amis comme ennemis
Au gré de son humeur haineuse,
— Elle dit à la fleur : « Ma sœur, m’est-il permis
» De vous parler sans flatterie?… »
On blâme votre air fier, votre mate blancheur
» Qu’on accuse de maladie ;
» A quels excès, grands dieux ! peut nous porter l’envie !
» Votre taille a de la roideur;
» Et vos feuilles sont si menues,
» Qu’elles paraissent… mal venues.
» La Rose, a vos côtés, sur des rameaux bien verts,
» Avec grâce,
» Incline mollement son front que rien n’efface,
» Etale ses boutons élégamment ouverts,
» Jette leurs doux parfums a la brise qui passe…
» Elle rend fous d’amour zéphyrs et papillons,
» Qui s’agitent près d’elle en galants tourbillons !
» Voyez son teint vermeil, c’est celui de l’aurore
« Lorsqu’elle vient ouvrir les voiles de la nuit… »
Elle se tait. — Le Lis, que l’angoisse dévore,
Reçoit, garde en son cœur le trait de ce récit ;
La Ronce le devine, et tout bas en jouit,
Car le mal aux pervers cause de l’allégresse!
— Puis, traîtresse elle ajoute : » Il existe un moyen
» De consoler votre tristesse :
» Tout à côté, dans ce parc mitoyen,
» Loge une mienne amie, on la nomme Garance ;
» Sa race est en honneur au bord de la Durance ;
» Elle possède un fard dont l’effet surhumain
» Du plus frais et brillant carmin
» Peut colorer vos blancs pétales,
» Et de la Rose et vous faire deux sœurs égales.
» Puisqu’il est un secret pour guérir vos pâleurs,
» Cessez donc de verser des pleurs !
» Et courez vite au domicile
» De cette enlumineuse habile.
» Le Lis tressaille d’aise, et radieux soudain,
Du logis indiqué bientôt prend le chemin.
Hélas! à ce récit qu’ajouter autre chose?
L’infortune, dit-on, en empourprant ses fleurs
Fut en poison changé. De mortelles senteurs
Remplaçant ses parfums, il vit fuir sa personne,
Quitta même son nom… et devint Belladone !
Fleurs charmantes, enfants au front riant et pur,
Aux grands yeux noirs si doux, ou d’un beau bleu d’azur,
Jeunes filles, fuyez les grâces des coquettes,
Redoutez leurs succès et leurs folles conquêtes.
Pour posséder un jour leurs mensongers attraits,
De leurs tristes défauts trop fidèles portraits,
Ah! ne fardez jamais vos cœurs ni vos visages!
Craignez les faux amis, leurs conseils gros d’orages.
Le ciel vous créa Lis ! gardez votre blancheur,
O mes anges aimés, et restez au Seigneur !…
“Le Lis et la Rose”
Recueil de l’Académie des jeux floraux – 1856