Attaqué d’une fièvre ardente,
Un Loup, autrefois redouté,
Au tribunal de Rhadamante
Allait enfin être cité.
Il était à l’extrémité.
Comme un pécheur à l’agonie,
Le malheureux, avec effroi,
Regardait le passé, considérait sa vie,
Et convenait, de bonne foi,
Qu’il aurait pu du temps faire un meilleur emploi.
Au meurtre, disait-il, instruit dès ma naissance,
J’ai versé, sans frémir, le sang de l’innocence.
Des victimes sans nombre ont péri sous ma dent.
Je m’en accuse. Cependant,
Si je conviens du mal, je dois, en conscience,
Parler aussi du bien. Je fais réflexion
Que je puis m’applaudir d’une bonne action.
Un jour, sur la verte prairie
Un agneau prenait ses ébats.
Il était, je le vis, des plus beaux, des plus gras :
Eh bien ! quoiqu’il me fit envie,
Je sus me contenir ; je n’en approchai pas.
Est-ce là de la tempérance?
Un renard, qui tout seul composait l’assistance,
Et qui soignait le Loup dans ses derniers instans,
Lui dit : Oui, de ce fait j’ai pleine connaissance,
Et je puis l’affirmer; il est des plus constans :
C’était justement dans le temps
Que votre seigneurie, un tant soit peu goulue,
Avait dans son gosier, bien avant engagé,
Un os, qui n’en fut délogé
Que par le long bec d’une grue.
Tel jour je n’ai point fait de mal,
Dit un méchant. Fort bien ;
mais, s’il était sincère, Il pourrait ajouter :
Quelque accident fatal
M’avait mis hors d’état d’en faire.
“Le Loup à l’agonie”