Au beau langage ne croiras
De gens que tu ne connaîtras.
Au méchant point ne te fieras,
Sinon mal tu t’en trouveras.
Un loup rôdant le soir près d’une bergerie,
A travers les fentes du bois
Vit une brebis endormie.
De la croquer il avait bonne envie :
Comment s’y prendre toutefois,
Sans troubler ni des chiens ni du berger le somme ?
Il fallait donc ruser; il le fit, voici comme :
« Ma sœur, dit-il, adoucissant sa voix,
» Quoi ! vous dormez, quand la nuit est si belle ?
» Pourquoi rester chez vous à mourir de chaleur,
» Quand dehors on respire une aimable fraîcheur,
» Dont tout le corps d’aise se renouvelle ?
» Venez, j’ai vu Diane elle-même » en secret,
» Des célestes parvis descendre en ce bocage,
» Pour jouir des douceurs de son riant ombrage.
» Venez donc, ô ma sœur, vous n’en aurez regret;
» Car apprenez encor que ce soir philomèle
» Fait entendre des chants si doux, si gracieux,
» Qu’on n’en saurait ouïr de plus mélodieux :
» Au doux plaisir qui vous appelle,
» Rendez-vous, croyez-moi. » Elle sort. A l’instant,
Mon loup la croque à belle dent.
Chez le méchant, un doux langage,
Hélas ! de quelque piège est trop souvent le gage.
“Le Loup et la Brebis”
- Joseph Hüe – 1800 – 1836