Un loup se reposait à l’ombre d’un vieux chêne.
Que je vous plains ! lui dit l’assassin de l’agneau ;
En vérité votre sort me fait peine.
Pour moi toujours coupable envers quelque troupeau,
S’il m’advient quelques maux, mes péchés en sont cause.
Au carnage entraîné par un fatal penchant,
Que puis-je paraître autre chose
Que méchant ?
Mais vous, dont les rameaux et leur épais feuillage
Couvrent le voyageur d’un gracieux ombrage ;
Vous, dont le vaste dôme, asyle du zéphir,
Conserve à ce gazon ses fleurs et sa verdure ;
Vous, à qui cette source et si pleine et si pure
Doit le don le plus doux, celui de rafraichir ;
Vous, près de qui surpris de la tempête
On trouve une retraite et sûre et toujours prête ;
Vous enfin qui semblez n’exister en ces lieux
Que pour faire le bien à l’exemple des dieux,
Pourquoi faut-il que la terrible hache,
Après tant de bienfaits envers l’homme et le loup,
Du ciseau de la parque accélérant le coup
Impitoyablement de terre vous arrache
Pour devenir bûche, poutre ou chevron,
Chauffer vos meurtriers, étayer leur maison ?
D’un si beau naturel indigne destinée !
Que n’allons-nous loin des cruels humains
Avec le tigre et l’ours, des déserts africains
Habiter et peupler l’enceinte abandonnée ?
Là nous serons heureux : Ha ! peut-il être un sort
Plus heureux, dit le chêne, et plus digne d’envie
Que celui de pouvoir au delà de la mort
Etendre les bienfaits dont j’embellis ma vie ?
“Le Loup et le Chêne”