Selon que vous serez puissant ou misérable.
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir,
La Fontaine.
Un Loup, pour contenter son appétit glouton,
Avait assassiné, certain jour, un mouton
Qui seul, au coin d’un bois, paissait sans défiance.
— C’était dans l’âge d’or, je pense ;
Temps heureux, où le tigre et la brebis, dit-on,
Vivaient en bonne intelligence. —
Le meurtrier était sous le coup de la loi ;
Car des témoins dignes de foi
L’avaient vu dévorer la chair de sa victime.
En vain, pour effacer la trace de son crime,
Il avait au prochain ruisseau
Lavé sa patte et son museau
Et s’était rendu jusqu’à l’eau
Par un sentier à pic suspendu sur l’abîme..
Du pied du roc jusqu’à sa cime,
Le sang avait marqué l’empreinte de ses pas.
Il ne pouvait non plus s’abriter dans le cas
D’une défense légitime;
C’eût été par trop fort. Le loup n’y pensa pas.
— Bien des hommes n’ont point une pudeur pareille
Ajoutons que pour preuve à porter aux débats,
Restait du mort la queue et le bout d’une oreille.
Afin que le procès devînt plus solennel,
On nomma tout exprès un jury criminel.
La foule au tribunal se pressait palpitante,
Et, mourant d’une longue attente,
L’accusé sur son banc était pâle d’effroi.
Les témoins entendus, et l’avocat du roi,
— Sire Lion régnait; au moins je le suppose —
Ayant longtemps péroré sur la cause
Et conclu fortement en faveur de la loi,
Maître Renard eut la parole :
C’était le défenseur. Comprenant bien son rôle,
Il n’eut garde, orateur prudent,
De nier un fait évident;
Mais il prit un détour, et, d’un ton pathétique,
Comme eût fait défunt Gall, sans broncher, entamant
Une thèse phrénologique,
Il prouva par maint argument
Que le Loup — on pouvait s’en convaincre aisément –
Du meurtre ayant la bosse prononcée,
Avait dû nécessairement
Égorger le mouton; qu’en ce fatal moment,
Sa volonté fut tout à fait forcée,
Et qu’il n’eut pas, en vérité,
Même une ombre de liberté.
— « A ce défaut de libre arbitre
Je n’ai pas encore ajouté,
Messieurs, que le défunt, véritable bélître,
Animal arrogant, querelleur, entêté,
Pétri de sotte vanité,
— Que la terre lui soit légère ! —
En poussant l’accusé jusques à la colère,
Aura donné l’essor a son penchant fatal ;
Une fois entraîné sur la pente du mal,
Qui pourrait s’arrêter? Le plus doux animal
Malgré lui devient sanguinaire.
Mon client fut toujours un loup fort débonnaire,
Et je puis vous prouver par vingt certificats
Que ses voisins, messieurs, en faisaient fort grand cas.
D’ailleurs, ce qui milite en faveur de ma cause,
— J’insiste à dessein sur la chose —
D’après tous les témoins, que j’estime beaucoup,
Mon client au mouton n’a porté qu’un seul coup.
Et l’a-t-il dévoré ? Non, voyez ce qui reste !
Fallait-il le laisser pour répandre la peste ?
L’accusé n’a pas peur, il mourra sans remord ,
Car il est innocent. Le condamner à mort,
C’est appeler sur vous la vengeance céleste! »
Après ce plaidoyer, diversement goûté,
Par le président consulté,
Le jury se mit en séance.
Tout pesé mûrement, en âme et conscience,
Et les débats et la défense,
L’assassin était acquitté ;
Et cela, devinez!…. à l’unanimité!….
A dater de cette sentence,
Les loups, sûrs de l’impunité,
Aux dépens des moutons partout firent bombance.
“Le Loup renvoyé absous”