Un Lys charmoit tous les yeux
Par sa beauté ravivante ,
Lorsqu’une vapeur brûlante
Tarit son suc précieux.
T out e s les Fleurs du Parterre ,
Qu’embellissoit sa blancheur,
Le virent avec douleur ,
Tomber, languir contre terre,
Ce Lys étoit leur soutien :
Ses bienfaits inestimables
Les rendoient inconsolables ;
Leur sort dépendoit du sien.
Des Zéphirs l’essein volage
Dans le tems de la chaleur
Entretenoit leur fraîcheur
A l’ombre de son feuillage;
Lorsque les vents orageux
Excitoient quelque tempête ,
Il garantissait leur Tête
De leur souffle impétueux.
S A tige étoit si chérie ,
Que la plus petite Fleur ,
Pour lui marquer sa douleur ,
Panchoit sa tête flétrie.
Dans ce Parterre charmant
Sur-tout une tendre Rose
Depuis peu de jours éclose
Aimoit ce Lys languissant.
La tendresse conjugale
A ses maux l’intéressoit ;
Aucune amitié n’égale
Le nœud qui les unissoit;
Par un contracte agréable
La noble blancheur du Lys ,
De la Rose incomparable
Tempéroit le coloris.
Comme on voit la Tourterelle,
S’empresser, pour soulager
Un Epoux jeune et fidéle
Que menace le danger:
Afin de sauver la vie
Au Lys que son cœur chérir ,
Cette Rose sacrifie
La sève qui la nourrit.
Elle souhaite que Flore
Sur le Lys porte les pleurs,
Dont la vient baigner l’Aurore ,
Quand elle arose les Fleurs.
Quoiqu’elle eût beaucoup à craindre
De son poison dangereux ,
Nul danger ne put éteindre
Un amour si généreux.
Que mon cher Epoux, dit-elle,
Recouvre tous ses attraits,
Et que la Parque cruelle
Perce mon sein de ses traits.
S’il meurt, ma tige fragile
Ne peut soutenir les Vents,
Ni servir aux Fleurs d’azile
Contre l’injure du Temps.
Pour se soustraire à l’orage ?
Au milieu de ce Jardin
Leurs Plantes viendraient envain
Se cacher sous mon feuillage.
Mais de l’Epoux regreté,
Pour lequel je m’interresse,
Si la tige se redresse,
Leur tige est en sûreté … .
De Phebus et de l’Aurore,
Sa plainte attendrit le cœur ;
Le jeune Lys qu’elle adore,
Recouvre enfin sa blancheur.
De l’Epouse vive et tendre
Les vœux l’avoient mérité :
Tous les Dieux dévoient le rendre
A sa générosité.
Des lors renaît l’Allegresse
Dans le Parterre atristé,
Et chaque Plante s’empresse,
De signaler sa gaïté.
Chaque Fleur se crut heureuse,
De témoigner son ardeur
A la Rose généreuse.
Qui sauvoit son Défenseur.
Qu’elle reçoive cet hommage
D’une foible et timide Fleur ,
Que la Reconnoissance engage;
A prendre part à son bonheur.
Lu et approuvé ce 25 Septembre 1752, Jault, Censeur Royal.
Le lys et la rose – Jean François Adrien Lénaut (1721-17..)