Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme ;
Mais comme le divorce entre eux n’est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d’une belle âme,
Assemblent l’un et l’autre point,
Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J’ai vu beaucoup d’Hymens, aucuns d’eux ne me tentent :
Cependant des humains presque les quatre parts
S’exposent hardiment au plus grand des hasards ;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J’en vais alléguer un qui, s’étant repenti,
Ne put trouver d’autre parti,
Que de renvoyer son épouse,
Querelleuse, avare, et jalouse.
Rien ne la contentait, rien n’était comme il faut,
On se levait trop tard, on se couchait trop tôt,
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose ;
Les valets enrageaient, l’époux était à bout :
Monsieur ne songe à rien, Monsieur dépense tout,
Monsieur court, Monsieur se repose.
Elle en dit tant, que Monsieur à la fin
Lassé d’entendre un tel lutin,
Vous la renvoie à la campagne
Chez ses parents. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons
Avec les gardeurs de cochons.
Au bout de quelque temps, qu’on la crut adoucie,
Le mari la reprend. Eh bien ! qu’avez-vous fait ?
Comment passiez-vous votre vie ?
L’innocence des champs est-elle votre fait ?
– Assez, dit-elle ; mais ma peine
Etait de voir les gens plus paresseux qu’ici ;
Ils n’ont des troupeaux nul souci.
Je leur savais bien dire, et m’attirais la haine
De tous ces gens si peu soigneux.
– Eh, Madame, reprit son époux tout à l’heure,
Si votre esprit est si hargneux
Que le monde qui ne demeure
Qu’un moment avec vous, et ne revient qu’au soir,
Est déjà lassé de vous voir,
Que feront des valets qui toute la journée
Vous verront contre eux déchaînée ?
Et que pourra faire un époux
Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous ?
Retournez au village : adieu. Si de ma vie
Je vous rappelle et qu’il m’en prenne envie,
Puissé-je chez les morts avoir pour mes péchés
Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés.
Autres analyses:
- Commentaires et analyses : Le mal marié de MNS Guillon
- Études sur “Le mal marié” de La Fontaine, P. Louis Solvet
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 6. Ne trouvez pas mauvais…..
Je ne sais pourquoi La Fontaine parle ainsi. On sait qu’il fut marié. Oublierait-il sa femme ? Rien n’est plus vraisemblable ; il vécut loin d’elle presque toute sa vie. Au surplus, après un Apologue excellent . voilà une fable fort médiocre, et même on peut dire que ce n’est pas une fable. C’est une aventure fort commune qui ne méritait guère la peine d’être rimée.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Dès demain je chercherai femme. Il fût pourtant marié ce bon La Fontaine. Raison de plus, me dira-t-on, pour médire des femmes. Quoiqu’il en soit de cette opinion, l’on conviendra que si elle n’est pas sans réponse du côté de la vérité, elle ne laisse aucune objection à faire sons le rapport du style et de la narration. Quand on a lu les charmants deuils qui composent ce joli conte, il faut se taire et admirer. Et que peu de beaux corps, hâtes d’une belle ame, Notre poète, plein de la lecture des anciens philosophes, avoit lu sans doute dans Xénophon : « Comme le mot beau se joint toujours au mot bon ; quand je voyois quelqu’un d’une belle figure, j’allois le trouver et je tâchois de découvrir si le beau et le bon se trouvoient reunis l’un à l’autre; mais qu’il s’en falloit que cela fût ainsi! Je crus appercevoir que quelques-unes de ces belles figures recéloient des âmes, corrompues » ( Econom. trad. de Gail, ch. VI, pag. 55 ).
(2) Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point. Cette idée rappelle l’épigramme naïve et plaisante de Montcrif sur la même matière: Amis, je vois beaucoup de bien… Lire la suite
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
Le mal marié, Ésope , F. 93
V. 1. Que le bon soit toujours camarade du beau, Dés demain je chercherai femme.
Cette pensée, qui n’est qu’une légère extension de la maxime de Périaudre, numqunm discedat utile à décoro, appliquée au mariage, va se trouver développée sous les mêmes rapports, avec quelqu’agrément, et sans trop de prolixité, dans ces vers de La Mothe, qui de son côté paroît en avoir emprunté la matière du prologue d’un des contes de Bocace.
Veut-on que je prenne une femme :
Je veux trouver ensemble et jeunesse et beauté;
L’esprit bien fait, une belle âme,
Délicatesse avec simplicité,
Cœur sensible sans jalousie,
Vivacité sans frénésie,
Sagesse, agrément et santé, …Lire la suite