Un Pauvre possédait un Chien,
Qui, partageant son pain et sa misère,
Lui rendait l’un moins fade, et l’autre moins amère.
Un Riche aperçut le vaurien
Sautant, jappant, rendant caresse pour caresse
A celui pour qui sa tendresse
Valait presque un trésor, puisqu’elle était un bien
Qui seul rattachait à la vie.
Or, Mons Crésus en eut envie ;
Il fallait donc le lui vendre à l’instant :
— C’est un service qu’on te rend,
Bon homme, que d’avoir pareille fantaisie ;
Car, dis-moi, que te sert ce petit fainéant,
Qu’il n’accroisse tes maux ? il me plaît ; je t’en donne
Vingt fois plus qu’il ne vaut. —Vingt fois ! Dieu me pardonne
Mais, pour cent, vous ne l’auriez pas :
Content de partager le sort d’un pauvre hère,
Jamais il n’a quitté mes pas ;
Et, si j’étais ingrat au point de m’en défaire,
Qui voudrait m’aimer ici-bas ?
La Misère, parfois, passablement raisonne,
Riches, convenez-en : si vous n’aviez plus rien,
Peut-être, pour ami, n’auriez-vous plus personne ;
Au Pauvre laissez donc son Chien ;
Car, en fait d’amitié, Riches, songez-y bien,
L’Homme se vend, le Chien se donne.
“Le Malheureux et son Chien”