Une Forêt criait : j’étouffe :
On ne respire plus céans.
Les arbustes, la moindre touffe,
Tous sont devenus des géants.
Au travers de tant de feuillage,
Daims et cerfs n’ont plus de passage,
Et je vais voir dans peu de temps
Déserter tous mes habitants.
De l’air ! je veux de l’air. Il faut qu’on m’éclaircisse.
Un manant, près de là, qui rôdait, l’entendit
Et lui dit :
Belle dame j’accours pour vous rendre service :
Car vous donnez en ce moment
Une marque de jugement.
J’ai toujours aimé ceux, il faut que je le dise,
Que de sens le ciel favorise :
Je ne m’épargne point, et mets à les servir
Tout mon plaisir.
Le Rustre, là-dessus, casse, étronçonne, tranche,
Et du coudrier la tige, et du chêne la branche ;
Les rassemble, les lie, en forme maint fagot,
Dont s’en viendra le prix lui grossir son magot.
La Forêt cependant respire : elle est charmée.
Le Rustre emporte la ramée,
Et bientôt amène tout droit,
Au même endroit,
De bûcherons toute une armée.
La Forêt se plaint alarmée.
On n’en a cure. Il fit beau voir
Bûcherons se mettre en devoir :
On vous la brise, on vous rebranche,
On vous la coupe à taille blanche.
Dame Forêt voit un peu tard
Que son manant n’est qu’un pillard.
Gardons-nous, s’il s’agit d’agréer des services,
Des gens trop empressés à nous être propices.
“Le Manant et la Forêt”