Un Mari fort amoureux,
Fort amoureux de sa Femme,
Bien qu’il fût jouissant, se croyait malheureux.
Jamais œillade de la Dame,
Propos flatteur et gracieux,
Mot d’amitié, ni doux sourire,
Déifiant le pauvre Sire,
N’avaient fait soupçonner qu’il fût vraiment chéri.
Je le crois, c’était un mari.
Il ne tint point à l’hyménée
Que content de sa destinée
Il n’en remerciât les Dieux ;
Mais quoi ? Si l’amour n’assaisonne
Les plaisirs que l’hymen nous donne,
Je ne vois pas qu’on en soit mieux.
Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,
Et n’ayant caressé son mari de sa vie,
Il en faisait sa plainte une nuit. Un voleur
Interrompit la doléance.
La pauvre femme eut si grand’peur
Qu’elle chercha quelque assurance
Entre les bras de son époux.
Ami Voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux
Me serait inconnu. Prends donc en récompense
Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance ;
Prends le logis aussi. Les voleurs ne sont pas
Gens honteux, ni fort délicats :
Celui-ci fit sa main. J’infère de ce conte
Que la plus forte passion
C’est la peur : elle fait vaincre l’aversion,
Et l’amour quelquefois ; quelquefois il la dompte ;
J’en ai pour preuve cet amant
Qui brûla sa maison pour embrasser sa Dame,
L’emportant à travers la flamme.
J’aime assez cet emportement ;
Le conte m’en a plu toujours infiniment :
Il est bien d’une âme Espagnole,
Et plus grande encore que folle.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 1. Un mari fort amoureux. . .
Je dirais volontiers, sur cette fable, ce que disait un mathématicien, après avoir lu l’Iphigénie de Racine : Qu’est-ce que cela prouve? Quelle morale y a-t-il à tirer de-là ?
Remarquons cependant trois jobs vers :
V. 13. Mais quoi! si l’amour n’assaisonne
Les plaisirs que l’amour nous donne , Je ne vois pas qu’on en soit mieux.
Commentaires et analyses de MNS Guillon,1803.
(1) J’infère de ce conte, etc. Malgre tout l’agrément répandu dans cette narration, dit M. Dardenne ; on sent que l’essentiel y manque, je veux dire l’instruction ; car que peut-on recueillir de cette fable, sinon que la peur est la plus forte des passions? maxime qu’on pourroit contester, mais qui, fut-elle généralement adoptée, ne peut être d’aucune utilité. D’ailleurs, ne dit-on pas communément qu’on ne guerit pas de la peur ? La Fontaine lui-même nous l’a appris dans sa fable du Lièvre et des Grenouilles
Corrigez-vous , dira quoique sage cervelle.
Eh ! la peur se corrige-t-elle ?
Il etoit donc inutile que La Fontaine fit une fable,pour nous apprendre que la peur est la plus forte des passions, et qu’il faut ailler à en guérir, dès qu’il la tient incurable. (Disc, prélim, des fables p. 64. ) Cette fable , ou plutôt ce conte , n’en est pas moins semé de traits charmans ; entre autres ceux-ci :
Mais quoi? si l’amour n’assaisonne,
Les plaisirs que l’hymen nous donne,
Je ne vois pas qu’on en soit mieux.
(2) Cet amant,
Qui brûla sa maison pour embrasser sa Dame. S. Evreroond en parle aussi dans une de ses Lettres à madame la Duchesse de Mazarin : ” Si vous permettez à mylord Montaigu de se trouver chez lui , qaand vous y logerez, je ne doute pas qu’il ne brûle sa maison, comme le Comte de Villa-. Mediana brûla la sienne pour un sujet de moindre mérite. » ( Œuvres T. V. p. 163) Je croirois plutôt que notre poète avoit en vue un ancien fabliau dont voici l’idée. Un Chevalier amoureux d’une Dame , envoie vers elle son perroquet pour lui présenter une requête d’amour. La Dame accepte l’offre de son cœur; mais il s’agit de s’introduire auprès d’elle, et l’amant embarrasse n’en imagine aucun moyen. L’oiseau propose un expédient; c’est de mettre le feu au château, dans l’espérance que le trouble d’un pareil événement permettra peut-être à la belle de s’échapper. Il exécute son projet avec du feu grégeois qu’il porte sur la charpente dans sa patte. La Dame s’échappe en effet; elle vient au rendez-vous, et trouve que ce tour est le plus joli qui ait jamais été joué. ( Conte d’Arnaud de Carcasses, des fabliaux de Le Grand.)
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
Pilpay, F. 52. — Camerarius, pag. 387.
Je dirois volontiers, sur cette Fable, ce que disoit un mathématicien après avoir lu l’Iphigénie de Racine: Qu’est-ce que cela prouve? Quelle morale y a-t-il à, tirer de là? (Ch.)
V. 13. Mais quoi, si l’amour n’assaisonne
Les plaisirs que l’hymen nous donne,
Je ne vois pas qu’on en soit mieux.
Hélas ! sans doute ; mais qu’y faire. Malheureusement, comme se plaît quelque part à le répéter le bonhomme , sur le même tou que celui sur lequel il a soupiré ces jolis vers :
La défense est un charme: on dit qu’elle assaisonne…lire la suite