Un gros Mâtin d’une énorme carrure
Grondant sans cesse entre ses dents,
Par son collier, par sa figure,
Épouvantait tous les passants.
Tous les roquets du voisinage
S’en éloignaient avec plaisir,
Et les dogues soumis venaient lui rendre hommage,
Comme pachas au grand visir.
Si vous me demandez quel était son mérite,
Ce n’était que fureur, orgueil, brutalité.
Tel qu’on redoute ou qu’on évite
N’est souvent qu’un franc hypocrite,
Qui, sous un front hardi, marque sa lâcheté,
Et foule aux pieds les droits de la société.
Un jour, une jeune Levrette,
S’approchant du réduit de ce fier animal,
Vint, par cent haut-le-corps, et sans songer à mal,
Bondir au pied de sa retraite.
L’étrangler eût été le premier mouvement
De l’impitoyable Cerbère ;
Mais, l’amour tout-à-coup désarmant sa colère,
Il crut pouvoir en un moment,
Par un maussade compliment,
Soumettre à ses désirs cette beauté légère.
Le brutal ignorait d’un langage flatteur
Le charme adroit et séducteur;
D’une patte assommante il caressait la belle,
Et des coups redoublés exprimaient son ardeur;
Ardeur qui rarement fléchit une cruelle.
Pour trouver le chemin du cœur,
Il faut joindre aux transports une aimable douceur.
A force de refus, la timide Levrette
Triompha des assauts de L’affligeant Mâtin,
Qui, furieux de sa retraite,
En pleine basse-cour pestait d’un air hautain
Contre l’amour et le destin.
Une vieille barbette, insultant à sa peine,
Lui tint, mais un peu tard, cet utile discours :
Quand la conquête est incertaine,
Que l’adresse vienne au secours.
Amants, il faut fléchir, non vaincre une inhumaine.
A qui veut exiger on refuse toujours,
Et le cœur n’est jamais le tribut de la gêne.
La volupté, par cent détours,
Jalouse de ses droits, veut être souveraine :
La contrainte engendre la haine,
Et la liberté seule enchaîne les amours.
“Le Mâtin et la Levrette”