Gabriel de la Concepción Valdés
Une mauve rampant sur le sommet d’un mont
Témoignait son mépris profond
Au palmier qui superbe, au-dessus de la plaine,
Balançait sa flèche hautaine.
— « À quoi bon, disait-elle en, grossissant sa voix,
Que tu sois proclamé l’ornement de ces bois?
Que te sert d’étaler à ta cime orgueilleuse
Un panache admiré par la foule flatteuse?
Qu’importe que l’eau du ruisseau
Reflète avec amour ta gracieuse image,
Qu’une étoile à ton front semble un brillant joyau,
Ou que la douce brise agite ton feuillage?
Moi qu’à l’oubli fatal nul ne vient dérober
Sous mes pieds je te vois, superbe, te courber. »
A ces mots, du palmier la verte chevelure
Se prend à tressaillir soudain,
Comme pour marquer le dédain
Dont le roi des forêts a couvert cette injure.
— « Tu me fais pitié, pauvre fleur,
Lui répond-il avec douceur,
Hé quoi ! penses-tu donc être ici quelque chose
Parce que le hasard te fit naître en ces lieux ?
L’endroit où ta tige repose
Peut seul, par sa grandeur, te rapprocher des cieux.
Du sommet de cette éminence
Tu n’atteins pas à la forêt.
Je le dis dans ton intérêt :
De ton front jusqu’au sol mesure la distance.
Quand bien même ce mont serait encor plus haut
Tu n’en serais pas moins une mauve rampante.
Pas tant de vanité; c’est un triste défaut
Qui certes ne sied pas à si chétive plante.
Sache bien que jamais il ne peut être grand
Celui que l’Éternel fit pour être rampant,
Et dont le faible cœur respire la bassesse :
Il est toujours petit quelque haut qu’il se dresse. »
Lors le palmier se tut. La mauve tristement,
N’ayant rien à répondre à ce raisonnement,
Sous la ronce voisine alla cacher sa honte.
Cependant le soleil qui sur l’horizon monte
En projetant au loin sa lumière et ses feux,
Le limpide ruisseau dans son cours sinueux,
Les oiseaux et les fleurs, témoins de sa victoire,
Du superbe palmier ont célébré la gloire.
“Le Mauve et le Palmier”