Christian Satgé
Fabuliste contemporain – Le Miroir et la Glace
Dans le long couloir d’une grande demeure,
Qu’au jour, le soleil éclairait à toute heure,
Une grande glace et un petit miroir
Se faisaient face, fort loin de ces boudoirs
Que l’on sait feutrés en actes et paroles.
Lui, peu poli avec chacun, se croit drôle :
« Vous avez votre mauvais tain du matin… »
Disait-il pour commencer son baratin
À la digne et longue figure d’en face.
« Toi qu’ici, tous négligent, brisons la glace ! »
Puis ajoutait : « Si j’en juge par mon reflet
Dans votre eau que rien ne trouble ni soufflet
Ni camouflet, je me porte comme un charme. »
L’autre ne répondait jamais au vacarme,
Sage comme image, toisant le coquet.
Un jour, lassée, elle lâche au paltoquet :
« Réfléchissez donc, mon Petit qui tant s’admire :
Il est facile, pour qui de loin, aspire
À se voir entier, d’ignorer le détail,
Le défaut à corriger ; c’est mon travail
Et mon honneur : je suis illusion et flatte.
D’autres, petits et vicieux, sont poils qui grattent :
On ne s’y voit qu’en partie et c’est toujours
Pour remarquer, sur soi, sans joie, le labour
Des fatigues, les semailles du temps,… choses
Désagréables s’il en est, qui composent
Le dépit des Hommes, vos gloire et labeur !
On vous prête plus d’attention qu’à moi, certes,
Mais votre vérité fera votre perte :
Chacun préfère embrasser ses qualités,
Que trop voir sa faille ou sa fragilité ! »
Christian Satgé
*Voir d’autres fables de Christian Satgé sur son Blog : Les rivages du Rimage