Au fond, de clairs ruisseaux coulent sous les pervenches
Le long des peupliers mêlés de chênes verts ;
Plus haut, les amandiers, dans leurs toilettes blanches,
Font rire le printemps au milieu des hivers.
Lavande et romarin sur les pentes arides
Déroulent leurs tapis de parfums et de fleurs ;
Et les cyprès, dressant leurs noires pyramides
Dans les feux du couchant, couronnent les hauteurs.
Coin charmant, toujours cher, d’un coup de sa baguette
Nature prit plaisir à former ta beauté.
Rustique Montagnette,
Séjour du thym, patrie où mon cœur est resté !
O qui m’arrêtera sur tes âpres collines,
Montagnette, nu-dessus de ce petit vallon,
Qui s’ouvre vers le Sud, en face des Alpines !
J’aperçois sous mes pieds le toit d’une maison
Dont la tuile reluit au travers du branchage :
C’est là ! voici la porte, et voici le canal.
Voici les deux grands pins, dont l’énorme feuillage
Chante pendant la nuit la chanson du Mistral.
Souvent, au temps jadis, ta sauvage harmonie
A bercé mon sommeil, ô terrible souffleur.
Qui tantôt à grands coups décharge ta furie,
Et tantôt emplis l’air d’une vague rumeur.
Qui donc es-tu, Mistral, vieux compagnon d’enfance
Que j’ai maudit souvent, et que j’aime à la fois ?
D’où viens-tu ? Qu’est-ce donc que cet archet immense
Que tu vas promenant au-dessus de nos bois ?
Formidables accords qu’emporte la rafale !
Que de fois, en rêvant, par une nuit d’hiver,
Au bord du chemin creux, sur ta noire cavale,
J’ai cru te voir passer, ménétrier d’enfer !
Mais le soleil revient à la fin. La nature,
Lui rit, comme échappée aux horreurs de la nuit.
Tais-toi, Mistral, épargne la verdure,
Epargne les bourgeons : c’est le printemps qui luit !
Va-t-en, va-t-en, vieux trouble-fête,
Retourne aux combes du Ventoux.
Va-t-en hurler avec les loups
Chargés de garder ta retraite.
Voici le renouveau, ne nous romps plus la tête.
Certain jour, sans souci de la belle saison,
Ni des moissons qui doraient la campagne,
Le Mistral, échappé de sa sombre prison,
Avait traversé la montagne.
Debout sur le dernier coteau
Il déployait déjà son aile immense
Pour se précipiter aux plaines de la Crau,
Qui lui sert de salle de danse,
Lorsqu’un nuage blanc, qui flottait dans le bleu,
Teinté de gris-perle et de rose
Lui dit : « Seigneur Mistral, excusez-moi si j’ose,
Entre nous vous semondre un peu.
Voyez tous ces champs qui verdoient ;
Voyez tous ces blés qui poudroient.
Que venez-vous donc faire ici,
Si ce n’est causer du souci ?
A cette nature embrasée
Tout ce qu’il faut en ce moment,
C’est la pluie ou bien la rosée.
— Merci, merci du compliment,
Gronda le Mistral en colère,
Tu vas voir ce que je sais faire,
Petit nuage téméraire !
Arrogant,
Qui veut dicter des lois à l’ouragan ! »
Il dit, et, d’une seule haleine.
Il pousse le nuage au bord de l’horizon.
« Cela ne prouve pas que vous ayez raison,
Repart l’autre; à nous deux, monsieur Croquemitaine
Sitôt dit, sitôt fait. Le point blanc devient noir :
Ce n’est plus un simple nuage.
Il grandit, grandit ! se propage.
Comme en un vaste réservoir
Il ramasse
Les vapeurs flottant dans l’espace ;
Envahit les trois quarts des deux,
En passant par dessus le Mistral furieux,
Et, maître de forces compactes,
Lâche sur lui ses cataractes.
En vain notre enragé souffleur
Se débat sous la douche immense,
Battant l’air avec violence,
Sifflant, hurlant;. Inutile fureur!
Son aile se détend. Réduit à l’impuissance,
Il fléchit, et poussant une horrible clameur
S’en va tomber dans la Durance!
Il n’était même pas besoin d’en faire autant :
Petite pluie abat grand vent.
“Le Mistral et le Nuage”