Félix MOUSSET
Dans un pays rempli de précipices,
Gouffres affreux bordés par des sentiers étroits,
Vastes glaciers aux parois lisses,
Deux amis, l’un et l’autre adroits.
L’un renard à l’esprit subtile
En plus d’un subterfuge habile,
L’autre, jeune mulet nerveux,
Aux jarrets sains et vigoureux,
S’en allaient hardiment à travers la montagne,
Et gagnaient les plaines d’Espagne.
« Cela, quant à présent, va bien, dit le renard ;
Par des sentiers connus nous suivons notre route,
Le péril n’est pas grand maintenant; mais je doute
Qu’il en soit de môme plus tard.
Tenez, mon compagnon, sous cette nappe blanche
Je soupçonne quelque avalanche.
Ne nous pressons donc point.
Qu’importe un ou deux jours
Pour plus de sûreté faisons quelques détours.
— Poltron ! Dis le mulet, pour un paquet de neige
Qui sommeille là-haut, quand ce chemin abrège
Ma route d’une lieue et plus, voudrais-tu pas
M’effrayer par la crainte absurde du trépas ?
— Je comprendrais, dit l’autre, un peu votre langage,
Si j’y pouvais trouver un quelconque avantage.
Qui nous presse, voyons, sommes-nous attendus ?
Qui pourra nous blâmer de quelques jours perdus ?
Le courage est pour moi seulement méritoire
Quand il sert une cause utile. Est-ce un gloire
De s’aller faire tuer par simple entêtement ? »
Le mulet vaniteux voulut faire à sa tête ;
Il fut broyé par la tempête.
Le renard, selon moi, raisonnait sainement.
Moralité
Jouer ses jours ainsi, par orgueil seulement,
Rien n’est à mon avis plus bête.
“Le Mulet et le Renard”