Le Mulet d’un prélat se piquait de noblesse,
Et ne parlait incessamment
Que de sa mère la Jument,
Dont il contait mainte prouesse :
Elle avait fait ceci, puis avait été là.
Son fils prétendait pour cela
Qu’on le dût mettre dans l’Histoire.
Il eût cru s’abaisser servant un Médecin.
Etant devenu vieux, on le mit au moulin.
Son père l’Ane alors lui revint en mémoire.
Quand le malheur ne serait bon
Qu’à mettre un sot à la raison,
Toujours serait-ce à juste cause
Qu’on le dit bon à quelque chose.
Analyses de Chamfort – 1796.

V. 1. Le mulet d’un prélat. . .
V. 15. Notre ennemi c’est notre maître.
On ne cesse de s’étonner de trouver un pareil vers dans La Fontaine , lui qui dit ailleurs :
On ne peut trop louer trois sortes de personnes, Les dieux , sa maîtresse et son roi.
Lui qui a dit dans une autre fable :
Je devais par la royauté
Avoir commencé mon ouvrage.
On ne lui passerait pas maintenant un vers tel que celui-là et on ne voit pas pourtant qu’on le lui ait reproché sous Louis XIV. Les écrivains de nos jours, qu’on a le plus accusés d’audace, n’ont pas poussé la hardiesse aussi loin. On pourrait observer à La Fontaine que notre maître n’est pas toujours notre ennemi, qu’il ne l’est pas lorsqu’il veut nous faire du bien et qu’il nous en fait ; que Titus , Trajan furent les amis des Romains et non pas leurs ennemis ; que l’ennemi de la France était Louis XI, et non pas Henri IV.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Incessamment, sans cesse. Nous l’avons déjà vu employé dans ce sens :
Voyez-vous à vos pieds fouir incessamment,
Cette maudite laye …………
(Fable 6. Liv III.)
(2) Etant devenu vieux, on le mit au moulin. Boileau :
On frit cas d’un coursier qui, fier et plein de cœur, Fait paroître en courant sa bouillante vigueur… Mais la postérité d’Alfane et de Bayand, Quand ce n’est qu’une rosse , est vendue au hasard, etc.
(Satyre V. vers 91 et suiv.)
(3) Son père l’Ane alors lui revint en mémoire. Plutarqne: Un Mulet de Lydie, qui s’étoit miré dans un fleuve, charme de la grandeur et de la beauté de sa taille, se mit fièrement à courir en secouant sa crinière comme un cheval ; mais bientôt son père l’Ane lui revient en mémoire; cette pensée arrête sa course et abat toute sa fierté. ( Trad. de l’abbé Ricard. T. II. p. 226. )
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
Ésope, F. 140.
Fable très-bonne, dans le genre le plus simple , et presque sans ornements. (Ch.)
Quand le malheur ne seroit bon
Qu’à mettre un sot à la raison,
Toujours seroit-ce à juste cause
Qu’on le dit bon a quelque chose.
C’est un beau chapitre eu morale que celui des avantages de l’adversité ; et après avoir indiqué ceux qu’un sot en peut retirer, La Fontaine, pour ajouter à la leçon , eût bien dû nous laisser une Fable sur le fruit que le sage lui-même en sait recueillir, en développant cette belle et antique maxime : crescit in adversis virtua. Les sujets ne lui manquoient point dans ce qui nous a été laissé par les anciens dans le genre de l’apologue , et il pouvoit les orner de rapprochements bien heureux.
Il est encor d’autres malheurs
Qui tournent à profit : l’aventure est commune.
Combien de gens parvinrent aux honneurs
Par le chemin de l’infortune !
(Dardenne, liv. 1, fab. 2.) Le Mulet se vantant de sa généalogie.