Pierre – Joseph Charrin
Chansonniet et fabuliste XVIIIº – Le mulot et la fourmi
» Pauvre Fourmi que je te plains !
» Pour avoir l’hiver quelques grains,
» Insuffisante nourriture,
» A ce que je pense du moins,
» Tu travailles outre mesure,
» Et tout le temps que l’été dure.
» Pourquoi tant de peines, de soins ? »
Disait un Mulot ; « Ma commère !
» Je pâlirais souvent, moi, s’il me fallait faire
» A ce prix mes provisions ;
» Mais je trouve toujours à ronger sous la terre
» Les racines des blés, des plantes les oignons
» Et d’appétissants tubercules :
» Tout m’est bon ! Sans compter les mets,
» Je mange et deviens gras — Toi, sotte ! tu calcules
» Les grains qu’en réserve tu mets. »
» Oui, répond la Fourmi ; quand j’ai le nécessaire
» Du superflu je n’ai que faire
» A quoi bon gaspiller un énorme butin.
» Je n’accapare point et ce que je respecte
» Suffit à plus d’un autre insecte
» Qui, sans cela, pourrait crever de faim.
» Tu me vantes ton sort. Je bénis mon destin ;
» Au tien je le crois préférable :
» Tu dois trembler comme un coupable ;
» Tu nuis à l’homme et l’homme est fin :
» Des chemins souterrains lui cachent les rapines ;
» Mais quand il voit ses graines, ses racines
» Infécondes au temps où des germes nouveaux
» Doivent faire espérer un fruit à ses travaux,
» Ce n’est qu’à toi qu’il attribue
» Ce ruineux dégât, et, pour se préserver
» Du tort qu’à l’avenir il pourrait éprouver,
» Des pièges sont tendus s’il ne t’a pu trouver,
» Et s’il te découvre il te tue,
» Ai-je à craindre cela ? Non. Loin de me sauver
» Sitôt que je vois apparaître
» L’homme, cet animal appelé notre maître,
» Tranquillement j’achève mon travail
» Et sans en négliger le plus petit détail.
» Les ténèbres à toi !… Sans peur verrais-tu luire
» L’astre dont chaque aurore annonce le retour ?
» Qui ne fait aucun mal ne craint pas le grand jour :
» On ne se cache que pour nuire. »
Pierre-Joseph Charrin