Certain négociant, de Perse ou de la Chine, n’importe, allant un jour, dit Pilpay, faire un voyage, mit en dépôt chez son voisin un quintal de fer. N’ayant pas eu tout le succès qu’il espérait, il s’en retourna à a maison. La première chose qu’il fit à son retour, fut d’aller chez son ami. Mon fer, dit-il.— Votre fer ! Je suis fâché de vous annoncer une mauvaise nouvelle. Il est arrivé un accident que personne ne pouvait prévoir ; un rat, un maudit rat l’a tout mangé : mais qu’y faire ! Il y a toujours dans un grenier quelque trou par où ces petits animaux entrent, et font mille dégâts.
Le négociant s’étonne d’un tel prodige, et feint de le croire : quelques heures après il trouve l’enfant de son voisin dans un endroit écarté ; il le mène chez lui, et l’enferme à clef dans une chambre : le lendemain il Invite le père à souper. — Dispensez-moi, je vous en supplie ; tous les plaisirs sont perdus pour moi. On m’a dérobé mon fils : je n’ai que lui : mais que dis-je ? Hélas ; je ne l’ai plus.— Je suis fâché d’entendre cette nouvelle. La perte d’un fils unique doit vous être très-sensible : mon cher voisin, je vous dirai qu’hier au soir, quand je partis d’ici, un hibou enleva votre fils. — Me prenez-vous pour un imbécile, de vouloir me faire accroire un tel mensonge ? Quoi ! un hibou qui ne pèse tout au plus que deux ou trois livres, peut-il enlever un enfant qui en pèse au moins cinquante ? La chose me paraît absurde et impossible. — Je ne puis vous dire comment cela se fit ; mais je l’ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je. D’ailleurs, pourquoi trouvez-vous étrange et impossible, que les hiboux d’un pays, où un seul rat mange un quintal de fer, enlèvent un enfant qui ne pèse qu’un demi-quintal ? Le voisin, sur cela, trouva qu’il n’avait pas affaire à un sot, et il rendit le fer au négociant en échange de son fils.
Il est ridicule de vouloir faire croire des choses impossibles. Quand un conte est outré, on a tort de chercher à le combattre par des raisonnements.
“Le Négociant et son Voisin”