C’est armé pour la traite et la piraterie
Que ce brick monté par des blancs,
À la côte d’Afrique où le poussaient les vents,
A laissé tomber l’ancre au cri de sa vigie.
Enveloppé des ombres de la nuit,
Un canot transporte sans bruit
Sur la rive où les noirs sommeillent sur leurs nattes,
Sous leurs huttes de joncs ou leurs toits de palmiers
Le capitaine des pirates.
— Par quelques vains hochets, par des appâts grossiers
Il tente les premiers qui s’offrent à sa vue
Et leur promet bientôt de plus riches présents
Si, pieds et poings liés, dans une autre entrevue,
Ils veulent lui livrer frères, amis, parents…
Horreur ! il s’est trouvé sous ces zones torrides
Des cœurs assez glacés, des noirs assez stupides
Pour vendre aux hommes blancs des hommes de couleur,
Sans songer qu’eux aussi, trahis par de faux braves,
Ils seraient à leur tour pris et chargés d’entraves,
Livrés au négrier, puis au fouet du planteur,
Et qu’eux-mêmes forgeaient leur collier de malheur !
Emportant dans ses flancs sa cargaison humaine,
Le lendemain le négrier
Déployait sur les flots de la liquide plaine
Ses ailes d’épervier.
Un navire chargé des richesses du monde
Se montre-t-il à l’horizon :
Soudain il fond sur lui de son vol rasant l’onde,
Et, le hélant par la voix du canon,
Il le mutile et monte à l’abordage
Et, repu de butin, d’orgie et de carnage,
Ses grappins suspendus le long de ses haubans,
Il reprend sa croisière au sein des océans.
Plus d’un gouvernement dans l’Europe et le monde,
Comme le négrier sur l’onde,
Arborant à son mât l’horrible pavillon
De la force brutale,
Et mettant nuitamment pour son œuvre infernale
Le glaive fratricide aux mains de tout félon,
Entasse dans ses forts, ses pontons, ses bastilles,
Les rouges arrachés du sein de leurs familles,
Et, forban sans remords,
Donne la chasse aux nouvelles idées
Qui, voguant dans ses eaux toutes voiles dehors,
Courent sous ses bordées
Porter au genre humain leurs sociaux trésors !
“Le Négrier-pirate”