Fables de l’Académie des jeux floraux
M. Florentin Ducos (1789-1873), un des quarante Mainteneurs,
Lue dans la séance ordinaire du 26 décembre 1856.
“La critique est aisée et l’art est difficile.” Destouches
Un Paon tout orgueilleux de son riche plumage,
Mais par malheur fort ignorant,
Du Rossignol un jour pourtant
Osa critiquer le ramage.
«Vous avez, lui dit-il, besoin de mes conseils;
L’on aime à vous entendre, on vous loue, on vous flatte;
Voilà précisément, mon ami, ce qui gâte,
Je le dis a regret, et vous et vos pareils.
Vous attaquez la note un peu trop à votre aise ;
La roulade chez vous est faible et manque d’art;
Parfois vous faussez le dièse
Et vous inclinez au canard.
Et puis, vous êtes sans génie,
Assommant de monotonie ;
Quiconque un seul moment entend filer vos sons.
Sait par cœur toutes vos chansons;
Ce sont toujours mêmes roulades,
Qui deviennent bientôt insipides et fades.
Dans les arts il faut innover;
C’est le moyen de s’élever.
Que ne pratiquez-vous un peu ma théorie?
En prenant mes leçons, vous seriez, en effet,
Dans quelques jours, un artiste parfait. »
Le tout petit oiseau, roi de la mélodie,
S’étonne de voir que le Paon,
Au cri sauvage et discordant,
Prétend professer l’harmonie
Et s’érige en maître de chant.
«Je n’ai pas mérité tant de sollicitude,
Lui répond-il, nous différons un peu;
Votre talent est le fruit de l’étude,
Et le mien m’est venu par la grâce de Dieu ;
Bref, sans vouloir vous faire injure ,
Vous êtes l’art, moi je suis la nature.
Maintenant soyez assez bon
Pour nous donner de votre théorie,
Surtout de votre mélodie,
Quelque charmant échantillon. »
Le Paon se laisse prendre au piège.
Tout enchanté de produire sa voix,
«Très-volontiers, dit-il; aussi bien oserai-je
Vous donner le précepte et l’exemple à la fois. »
Notre professeur de solfège,
Là-dessus, pour montrer son talent gracieux,
Pousse un long cri, sauvage, abominable, affreux.
Ce cri va saisir à la ronde
D’une crispation profonde
Les habitants de la terre et des cieux.
Le chat-huant hua; les corbeaux croassèrent;
L’on entendit les bœufs beugler,
Et les merles des bois se mirent à siffler.
Les choses de la sorte assez mal se passèrent.
D’un si pénible échec notre Paon tout confus.
Se tut et ne censura plus.
Il eut voulu crier à la cabale;
Mais il eut assez de bon sens
Pour comprendre enfin l’intervalle
Que la nature a mis entre les vrais talents
Et les censeurs impertinents:
Il devint sage à ses dépens.
“Le Paon et le Rossignol”
Recueil de l’Académie des jeux floraux – 1807.