Le long d’un réservoir, dont l’onde transparente
Réfléchissait l’azur des cieux,
Un paon décrépit et goutteux
Se promenait un jour ; sa marche était tremblante,
Et l’oiseau de Junon avait le temps de voir
Le brochet vigoureux, la carpe jaunissante
Courir et se jouer au fond du réservoir.
Il s’approche du bord, et dit : » J”ai grande envie
De vous donner à tous un excellent avis.
Profitez-en, mes bons amis,
Car ce conseil peut vous sauver la vie.
Vous vous amusez là sans vous douter de rien.
Sans songer qu’un beau jour on viendra vous surprendre,
Qu’au marché l’on vous ira vendre,
Et qu’on vous frira bel et bien.
Ainsi votre mort est prochaine ;
Aucun de vous se donne-t-il la peine
D’y penser seulement? Mais il est un moyen
De vous tirer de là ; c’est par cette bordure
Que baigne l’eau de votre réservoir.
De ce côté surtout, amis, je vous assure
Qu’elle est presque au niveau: tenez, venez y voir…
Sautez sur ce gazon, sa facile courbure
Vous éloignant de ce funeste bord,
Vous conduira sans nul effort
Vers cet étroit canal qui touche à la rivière.
— Beau sire paon, lui cria-t-on,
Si vous ne radotez, il ne s’en faut plus guère.
Comment! nous quitterions cet onde salutaire,
Pour aller près de vous sauter sur ce gazon?
En vérité le conseil est unique !
Sachez donc, bel oiseau, que notre république
Vit ici sans crainte et sans soins.
On pourvoit à tous nos besoins,
Chacun de nous frétille ou se repose
Comme il lui plait, et craint peu les témoins.
Nous avons le bonheur, même en très-forte dose,
Et pour être plus heureux,
S’il nous manque quelque chose,
Ce n’est pas un rêve creux.
» Le paon tourna le dos.
Les moins sols l’écoutèrent,
Et sautèrent;
Le reste en rit.
Malheur avint bientôt à ceux-là qui restèrent.
Car on les prit ;
Et Dieu sait comme ils frétillèrent !
Explication morale :
Voici un second exemple du danger qui suit le mépris des sages conseils. Mes enfants, écoutez le vieillard s’il veut bien vous faire part de sa longue expérience. Vous entrez dans le monde, il est près d’en sortir : c’est un homme qui a passé sa vie dans une immense enceinte, où il y a des tapis de verdure, des points de vue magnifiques, des précipices et des abîmes quelquefois couverts de fleurs. Vous allez à votre tour parcourir cette enceinte qui vous est inconnue ; combien ce vieillard ne peut-il pas vous être utile en vous indiquant les endroits dangereux où vous pourriez vous perdre, et que faudrait-il penser de celui d’entre vous qui dédaignerait ses avis salutaires et désintéressés? (Le Paon et les Poissons)
“Le Paon et les Poissons”