Après avoir longtemps erré dans le bocage,
Un papillon s’arrête au bord d’un clair ruisseau ;
Posé sur un brin d’herbe, il se penche vers l’eau,
Puis il admire son image.
Que mes ailes, dit-il, ont de vives couleurs !
Quelle grâce, quelle magnificence !
Ah ! que l’on me compare aux plus brillantes fleurs,
J’aurai toujours la préférence.
En achevant ces mots, sur un rosier voisin
Il aperçoit une chenille,
Qui, lasse de ronger le thym,
Vient de monter dans la charmille.
Elle s’y place sans façon,
Et le papillon s’en étonne :
Voyez, dit-il, cette friponne
Choisir le plus joli bouton ;
Il semble qu’il soit fait pour lui donner retraite,
Tant elle en use librement.
Ça, dites-nous, madame l’indiscrète.
Vous êtes-vous mis dans la tête
De garder ce logement ?
J’en ai, dit-elle, l’espérance.
Ah! dit l’insecte ailé, vraiment
Je le souhaite, mon enfant ;
Mais il est entre nous un peu de différence :
Je peux voler légèrement,
Tu ne marches que lentement,
Et je ne vois pas d’apparence
Que tu partages mon destin.
Près de là, sur un peu de thym
Travaillait une jeune abeille ;
Elle s’approche en bourdonnant,
Se place à côté d’eux sur la rose vermeille.
Je t’écoutais avec étonnement,
Dit-elle au papillon ; ami, tu n’es pas sage ;
As-tu donc perdu l’usage
De ta mémoire, et ta raison ?
On le dirait à ton langage ;
Crois-moi, retiens cette leçon :
Quand on méprise sa famille,
Bien plus que l’on ne croit on fait parler les gens ;
Partout tu feras dire : Il n’y a pas longtemps
Que ce beau papillon n’était qu’une chenille.
“Le Papillon, la Chenille et l’Abeille”