La fortune est changeante, et parfois sa rigueur
Au dernier rang nous fait descendre :
Témoin cet héritier du trône d’Alexandre
Qui, pour vivre, se fit tourneur.
Je pourrais au besoin, en creusant ma mémoire,
De maint exemple encore allonger ce grimoire;
Mais je n’ai pas l’intention
De venir étaler mon érudition.
De tels faits seulement prouvent que dans la vie.
Quoique heureux, il nous faut craindre l’adversité.
Cette vieille moralité
Peut être plus complète, et je cède à l’envie
De faire dans ce conte au moins la part du cœur.
Celle de la bonté, source du vrai bonheur.
Le fils d’un parvenu tenait état de prince.
Ne se souvenant plus que son père jadis.
En sabots, sans un sou, débarqua dans Paris
Du fond de sa province.
Il était vain, despote, égoïste : en un mot,
C’était un sot.
Ses exigences tyranniques
Faisaient de sa maison un véritable enfer.
Tout tremblait devant lui ; ses pauvres domestiques,
En pliant sous un joug de fer,
Étaient humiliés par les mots de canaille,
De malotru, de valetaille,
Que leur jetait leur oppresseur.
En Dieu ces malheureux trouvèrent un vengeur.
Il arriva que cet injuste maître
Fut attaqué d’un mal contagieux…..
Pour tout autre ses gens fussent restés peut-être ;
Mais, fuyant le danger, ils quittèrent les lieux
Où gisait leur tyran : c’était chose plus sûre.
Or, bientôt il mourut sans laisser de regrets;
On le méprisait trop, et les méchants jamais
Ne se fort pardonner leur affreuse nature.
Envers tes serviteurs sois sobre de tes droits ;
Sache t’en faire aimer et non t’en faire craindre.
D’être attachés, pour vivre, au dernier des emplois,
Ne sont-ils pas assez à plaindre?
“Le parvenu”