Une linotte gentille
Avait posé son nid au sommet d’un ormeau,
Et couvait sa jeune famille
Que le vent balançait sur un léger rameau.
Des petits, le naissant plumage
Offrait chaque matin quelque progrès nouveau ;
Tandis que, par son doux ramage,
La mère, charmant le bocage,
Les amusait dans le berceau.
Soins et tendresse maternelle
Remplissaient tout son temps, occupaient tout son cœur ;
Et rien n’égalait son bonheur,
Quand ses jeunes linots vers elle
Tendaient leurs petits becs en lui battant de l’aile.
Advint l’âge bien doux, qui n’est pas sans danger,
Où l’oiseau s’aperçoit que sa plume légère
Doit lui servir à voltiger.
Alors vous eussiez vu la mère
Promener tour à tour chaque petit linot,
Guider son premier vol de l’ormeau jusqu’au chêne,
L’aider, le soutenir, revenir aussitôt
Chercher un autre élève, et sans compter sa peine,
Recommencer cette leçon
Mainte fois pour chaque oisillon.
Puis elle leur disait : « Enfants, quand viendra l’heure
De m’absenter un peu, pour aller recueillir
Ce grain que Dieu fait croître exprès pour vous nourrir,
Gardez-vous bien tout seuls de quitter la demeure ;
Vous pourriez vous en repentir.
Dans cette commode retraite,
Vous ne craignez chat ni belette ;
Ils n’y peuvent grimper, car ce frêle rameau
Est à peine assez fort pour porter un oiseau ;
Mais si vous tombez sur la terre,
Gare à la griffe meurtrière ! »
Cela dit, un jour elle sort.
Voilà qu’un linot sans cervelle,
Se croyant grand garçon bien raisonnable et fort,
Veut essayer tout seul la vigueur de son aile ;
Il s’élance du nid, vole à l’arbre voisin,
Puis va de feuillage en feuillage,
Et sans rien calculer, comme on fait à son âge.
Il avance, et se trouve enfin
Fort éloigné de son bocage.
Il en était tout fier, lorsqu’un affreux tapage
Près de lui retentit soudain.
Alors épouvanté, pour gagner sa demeure
Il veut voler d’un trait, mais il le veut en vain,
Il bat de l’aile, il tombe, où ?… sur un chat malin
Qui le guettait depuis une heure.
La mère arrive… Il n’est plus temps !
« Hélas ! dit-elle à ses autres enfants,
Il n’a point écouté mes craintes maternelles !
Qu’il vous apprenne au moins comme un petit linot
Peut se perdre, en voulant trop tôt
Voleter de ses propres ailes. »
“Le petit Linot”