À la reine de Prusse.
J’ai commencé mon livre par mon roi ;
Une autre majesté couronnera l’ouvrage.
Reine, agrée ici mon ouvrage ;
Ce tribut étranger n’en vaut que mieux pour toi.
L’encens de tes sujets ressent la dépendance ;
Tous leurs hommages te sont dûs :
Ils sont sujets de ta puissance ;
Je ne le suis, moi, que de tes vertus,
J’ai consulté la renommée
Sur ton cœur et sur ton esprit ;
La bonne courrière charmée
En dit merveille, et jamais ne tarit.
Le ciel dans ton âme, dit-elle,
A versé ses plus grands trésors ;
La noble vérité, la justice fidelle
En sont les sublimes ressors.
Ce que de sages loix à tes peuples commandent,
Tu sçais l’inspirer par tes mœurs ;
Et ta vertu soûmet des cœurs
Qui rebelles aux loix, à l’exemple se rendent.
Plus d’une princesse sous toi
Apprend à soûtenir ton sacré caractère ;
S’instruit à faire un jour, à l’envi de sa mère,
Les délices d’un peuple, et le bonheur d’un roi.
La déesse, en passant, m’a dit que ton suffrage
Ne se refusoit pas à mes heureux écrits :
Sans doute la vertu dont j’y trace l’image,
Y met à tes yeux quelque prix.
Mes fables à peine encor nées
Aspirent aux mêmes honneurs.
De mes odes reçois les sœurs ;
Que ces cadettes formées
Trouvent auprès de toi le sort de leurs aînées :
Elles te font leur cour, tout au moins par les mœurs.
Puisse ton jeune fils, qui sous de sages guides
Va s’instruire à donner la loi,
Partager les leçons solides
Que j’ose donner à mon roi !
Phoenix, premier du nom, roi des champs d’Arabie,
Grand adorateur du soleil,
Avoit, comme un vrai saint, passé sa longue vie :
Le peuple aîlé n’eut jamais son pareil.
L’oiseau religieux, après plus de cent lustres,
À son terme étoit parvenu.
L’ordre enfin veut qu’il meure ; à peine il l’a connu,
Que sans regret à ses destins illustres,
Sans se plaindre, sans s’allarmer ;
Il travaille au bucher qui doit le consumer :
Un hibou près de là, caché dans un trou d’arbre,
Misérable, vieux, mal en point,
Souffrant et glacé comme un marbre,
Maudissoit le soleil qui ne l’échauffoit point.
Mon frère, dit le saint, à quoi bon ce blasphême ?
Prends patience, et meurs mieux que tu n’as vécu ;
La mort n’est point un mal ; crois-le… crois-le toi-même,
Dit le hibou ; moi je suis convaincu
Que c’en est un ; je veux m’en plaindre.
Quand je me portois bien, j’ai fait comme il m’a plû ;
Je meurs encor sans me contraindre,
Et ton sermon est superflu.
D’ailleurs, tu parles bien à l’aise,
Toi, qui seul de ton ordre avec le monde es né ;
Ton dieu, le soleil même, à peine est ton aîné :
Est-il étonnant qu’il te plaise
De mourir ? Tu dois être soû
Et du monde et de son allure :
Si j’avois eu de jours aussi pleine mesure,
Je regretterois moins mon trou.
Qu’aurois-tu vû de plus ? Dit l’arabique apôtre ;
C’est toûjours même chose ; un jour ressemble à l’autre :
Mourant tous deux au même instant,
Nous aurons vécu tout autant.
Adore le soleil de qui tu tiens la vie ;
Et repens toi de l’avoir fui.
Quel bien t’est revenu de cette fuite impie,
Que remords, que chagrin, qu’ennui ?
Mais je finis ; le temps se passe ;
Et je suis pressé de mourir.
Serviteur, et grand bien te fasse,
Dit le hibou ; pour moi je veux guérir.
Le phoenix alors suit son zèle ;
D’aromates, de bois acheve son bucher
Aux rayons du soleil l’allume de son aîle ;
Et soûmis, il s’y va coucher.
Les feux emportés par Zéphire
Prennent au logis du hibou :
Sur son bucher le saint expire,
L’impie expire dans son trou.
Mais l’un meurt pour toûjours, et l’autre de sa cendre
Renaît avec tout son éclat.
À l’immortalité le juste doit s’attendre :
La mort et pis, est pour le scélérat.
Mais c’est dommage, ce me semble,
D’avoir encor à dire une autre vérité.
Le phoenix est unique ; et pour la rareté,
Le juste à peu près lui ressemble.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Phénix et le Hiboux.