Emporté par mille fantaisies, le jeune enfant grimpe en courant sur la colline, parcourt la plaine, bondit dans les champs, et y cueille indistinctement les présents de Flore ; tantôt un objet, tantôt un autre appelle son attention sans la fixer. Il court après tout ce qui est nouveau ; passant d’un souhait à un autre, ni le chagrin ni la joie ne l’occupent longtemps ; il court tête baissée, sans réflexion ; il n’a ni la pensée ni la volonté du mal, mais souvent dans ses ébats il le fait par étourderie.
Le mois de mai commençait, le soleil d’un beau matin étalait toute la magnificence de la nature. Le sage Lorenzo s’acheminait vers le bocage pour méditer ; Dieu et la nature remplissaient son cœur naturellement porté à la pitié et à toutes les affections douces. Un oiseau voltigeant de buisson en buisson remplissait l’air de ses gémissements ; ses sons plaintifs frappent l’oreille de Lorenzo ; leur cause n’était pas bien éloignée.
Un petit garçon, les yeux brillants de plaisir, s’était emparé du nid et des petits de l’oiseau désolé ; et tandis que cette mère infortunée faisait retentir les environs des cris de sa douleur, il traversait la prairie en courant. — Un moment, petit ami, lui dit Lorenzo en l’arrêtant ; suspens ta course pour entendre les conseils de l’amitié ; que l’avis que je te donne échauffe ton cœur du sentiment de la pitié ; prête l’oreille un moment, et dis-moi : Les gémissements continuels de cet oiseau ne te touchent-ils point ? Vois son inquiétude ; entends cette mère exprimer sa douleur sur la privation do ses petits, ses petits qu’elle aime tendrement, qu’elle couvait avec tant de soins, en attendant que le temps eût pu leur donner des ailes, et qu’elle eût pu les conduire elle-même dans le taillis où, libre et sans crainte, elle eût rempli l’air des accents de sa joie. Son bonheur et ses espérances ont disparu ; ses petits, nus et captifs, ont été dérobés aux soins d’une mère restée sans espérance, maintenant toute seule. Ah ! pendant que tu cours comme un étourdi, songe à ce que ta tendre mère pense de toi ; peut-être ne te voyant pas revenir, elle se dit : Mon fils aura éprouvé quelque accident funeste ; il aura fait une chute ; il aura été rencontré par le loup ; un taureau, dans sa course, l’aura renversé : tarderait-il, sans cela, si longtemps à revenir ? Si de telles craintes agitent ainsi tes parents, juge des peines de cet oiseau désolé ; il éprouve la même inquiétude, les mêmes maux, les mêmes angoisses. Parcours les champs, livre-toi au plaisir ; mais, quoi que tu fasses, ne sois jamais sans pitié. De toutes les vertus la pitié est la plus grande, la plus noble ; écoute ce qu’elle t’inspire, et dans tes maux tu éprouveras à ton tour celle d’autrui.
L’enfant honteux retourne sur ses pas et se presse de replacer le nid ; il revient joyeux et content rassurer ses parents : l’avis du sage Lorenzo fut toujours présent à son esprit, et il ne prit plus de nid d’oiseaux.
“Le Philosophe, l’Enfant et le nid d’Oiseau”
- Hippolyte de la Courcelle, 18..