Un jour, sur les pas de Saussure,
Libre d’inquiétude, et de soins affranchi,
J’avais gravi ces monts d’éternelle structure,
Dont le sommet, toujours, par la neige est blanchi.
Assis au pied d’un roc, j’admirais la vallée
Où l’Arve, en bondissant, roule ses flots cendrés;
Et, parcourant des yeux son enceinte isolée,
Je crayonnais ces vers, par mon cœur inspires :
Monts qui jusques au ciel portez vos fronts sublimes,
Et qui m’environnez de vos rochers déserts,
Des perfides humains vous me cachez les crimes,
Et je crois vivre ici dans un autre univers.
Tandis que j’écrivais, ô scène inattendue !
Sur la cime d’un roc voisin,
Un Chamois, paraissant soudain,
Vient se présenter à ma vue.
Mon air tranquille et doux ne l’effarouchait pas.
Je l’appelle.
Pourquoi, dans ces déserts sauvages,
Lui dis-je, as-tu porté tes pas?
Quitte ces rocs pelés, ces glaciers, ces frimas;
Viens chercher dans nos champs de plus gras pâturages.
Non, ces rocs me conviennent mieux,
Répond-il. J’y pourrais regretter l’abondance;
Mais j’y trouve un trésor qui m’est plus précieux.
— Et, quel est-il ? — L’indépendance.
“Le Poète et le Chamois”