Les rats jadis vivaient en république :
Mais de l’état démocratique
Ils se lassèrent un matin.
Pour parvenir au pouvoir souverain,
Dieu sait combien il se forma de brigues.
Après un mois de cabales, d’intrigues,
L’un d’eux à la fin l’emporta :
Conclusion, sur le trône il monta.
Le charme décevant de la toute-puissance
D’un doux plaisir d’abord le transporta :
Quelle ineffable jouissance
De tenir ainsi sous ses pieds
Tous ses rivaux humiliés!
Bientôt, hélas! il vit tourner la chance.
De la royauté les travaux
Ne lui laissaient aucun repos.
Du cruel Rodilard les troupes l’attaquèrent :
Ses ennemis secrets contre lui conspirèrent.
Au moindre bruit, il pâlissait d’effroi ;
Puis, quand il se mettait à table ,
Il craignait le poison. Enfin le pauvre diable
Était malheureuse comme un roi,
« Ah ! se dit-il, quelle fut ma folie !
J’ai fait pour m’élever d’incroyables efforts,
Et sur le trône assis, je souffre mille morts.
Mon sort, jadis, était digne d’envie ;
Je menais doucement une joyeuse vie.
Aujourd’hui, plus de liberté,
Plus de calme, plus de gaîté :
Tout m’alarme, me porte ombrage.
C’en est fait, devenu plus sage,
Je renonce à l’autorité. »
Ronge-maille, à ces mots, sans rien dire à personne,
Jette bas et sceptre et couronne,
Et loin de là, dans un coin ténébreux.
Il va vivre obscur, mais heureux.
“Le Rat ambitieux”
- Théodore Lorin, 18.. – 18..