Jean François Haumont
Militaire, poète et fabuliste XVIIIº – Le Ramoneur et l’Hirondelle
Un ramoneur grimpait très-lestement
Le tuyau d’une cheminée,
Pour dégager habilement
La suie épaisse et calcinée :
Il faisait un tel carillon,
Gravissant la noire muraille,
S’escrimant d’estoc et de taille,
Que tout tremblait dans le canton.
Auprès de là gisait une pauvre hirondelle,
Dans son nid, que l’on peut appeler sa maison,
Couvant ses œufs avec beaucoup de zèle :
Quand elle vit le compagnon,
Tout est fini pour moi, dit-elle ;
Le malheureux, dans sa fureur cruelle,
Va renverser dans un instant,
Avec son perfide instrument,
Mon bâtiment le seul asile
Où je goûtais bonheur si tranquille.
Hélas! pour fléchir le courroux
De l’ennemi qui vient à nous,
Le plus faible a recours aux larmes ;
Essayons-les, je n’ai point d’autres armes.
Bon citoyen, dit-elle au ramoneur,
Vous me faites mourir de peur:
Ne détruisez pas, je vous prie,
Le fruit de ma faible industrie ;
Je vivais si paisiblement!
Dans mon petit appartement,
Je conserve mes œufs, bientôt ils vont éclore.
Si vous les cassez tous, pour moi c’est pis encore :
Vous détruirez pour toujours
L’objet de mes tendres amours !
Et ma postérité, mon unique espérance,
Rentre dans le néant, même avant sa naissance.
Notre père commun, par des soins bienfaisants,
Daigne nous conserver, aime tous ses enfants.
Avant de former l’homme, il créa l’hirondelle.
Je n’ai garde, avec vous, d’entrer en parallèle ;
Si les hommes sont rois de tous les animaux,
Qu’ils aiment leurs sujets, n’en soient pas les bourreaux.
Quoi! vous osez parler? petite raisonneuse,
Répond le savoyard : par trop officieuse
Vous prétendez, je crois, me faire une leçon,
Et me traiter en polisson.
Votre belle maison n’est qu’un amas d’ordures,
Que je puis renverser sans commettre d’injures ;
Allez ailleurs bâtir votre palais ;
Un peu de boue en fera tous les frais.
Quant à vos œufs, c’est un objet futile,
Qui sert à conserver votre espèce inutile.
Il dit, et d’un coup de tranchant,
Cassa les œufs, brisa le bâtiment;
Voulut dans sa rage mortelle
Massacrer la triste hirondelle,
Qui ne dut qu’à son vol, plus léger qu’un zéphyr,
Son salut; elle fuit, en poussant un soupir.
La vérité déplaît : osez la faire entendre
Aux êtres plus puissants que vous,
Bientôt vous devez vous attendre
D’éprouver les effets d’un injuste courroux.
Jean François Haumont